Le vote des étrangers est reconnu par la Constitution de 2011

A travers les résultats du Recensement Général de la Population et de l’Habitat en 2014, le nombre des étrangers résidant au Maroc est de 86 206 sur une population générale estimée à 33 848 242. L’existence au Maroc de cette population étrangère est caractérisée par  la présence de nationalités de tous les continents avec une relative importance «des ressortissants de pays, entretenant avec le Maroc des relations particulières d’ordre économique, historique ou de voisinage».

Le Maroc est devenu progressivement un pays d’accueil, en raison notamment des flux, sans cesse croissants de migrants, en majorité originaires d’Afrique subsaharienne qui transitent par son territoire dans l’espoir de rejoindre l’Europe.

Après des opérations répétées de régularisation des migrants et la volonté exprimée pour leur intégration économique et sociale, on peut relever que «Le Maroc compte parmi les premiers pays du Sud à avoir adopté une politique solidaire authentique pour accueillir les migrants subsahariens, selon une approche humaine intégrée, qui protège leurs droits et préserve leur dignité» comme l’a rappelé S.M. le Roi dans son discours du 20 août 2016, à l’occasion de l’anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple.

Parmi les droits revendiqués, ceux rattachés au droits de vote interpellent les autorités marocaines par, beaucoup plus, les marocains résidant à l’étranger que par les étrangers résidant au Maroc.

Peut-on revendiquer aujourd’hui légitimement le droit de vote et d’éligibilité des étrangers au Maroc, sachant que l’octroi du droit de vote est conditionné en général par l’obtention de la nationalité du pays concerné?

Le droit de participer aux élections locales est accordé aux étrangers résidant au Maroc depuis l’adoption de la constitution en 2011 dont l’article 30 stipule que «Les étrangers jouissent des libertés fondamentales reconnues aux citoyennes et citoyens marocains, conformément à la loi. Ceux d’entre eux qui résident au Maroc peuvent participer aux élections locales en vertu de la loi, de l’application de conventions internationales ou de pratiques de réciprocité.»

Ce droit de vote est limité aux élections locales et les conditions de son exercice doivent être prévues dans le code électoral marocain en prenant en considération la conformité à des conventions internationales ou à la réciprocité de sa reconnaissance à des résidents de nationalité marocaine dans d’autres pays.

La revendication de ce droit revient à revendiquer l’application des dispositions constitutionnelles, ce qui est légitime dans toute démocratie.

Contrairement à d’autres pays, au Maroc, on peut dire que l’octroi du droit de vote et d’éligibilité ne requiert pas forcément une réforme constitutionnelle puisque l’article 30 de la Constitution marocaine de 2011 dispose que «les ressortissants étrangers peuvent participer aux élections locales en vertu de la loi, de l’application des conventions internationales ou de pratiques de réciprocité». Qu’en est-il de l’application et de la mise en œuvre de ce texte de la Constitution?

La mise en œuvre et l’application du droit de vote des étrangers au Maroc dépend en premier lieu de l’adoption et la promulgation d’une loi modifiant et complétant la Loi 9-97 formant code électoral, telle qu’elle a été modifiée et complétée par la Loi 64-02. Il est à souligner que ces dispositions nécessaires à la pratique de ce droit n’ont pas été prises lors des élections locales de 2015. Ni le gouvernement, ni les parlementaires n’ont pris l’initiative d’un projet de loi à ce sujet. De même que l’on peut remarquer l’absence de déclarations d’intention au sujet du vote des étrangers résidant au Maroc lors des discussions au sein des commissions des deux chambres du parlement.

De même, aucune «application des conventions internationales ou de pratiques de réciprocité» n’a été mis en exergue pour susciter une «réponse» à la probable revendication du droit de vote pour les étrangers résidant au Maroc.

Les associations de la société civile et les organisations non gouvernementales, par leur droit constitutionnel à contribuer à «la mise en œuvre et l’évaluation des décisions et des projets des institutions élues et des pouvoirs publics» peuvent porter la revendication du droit de vote des étrangers au Maroc et en exiger l’application conformément à l’article 30 de la constitution.

Au-delà du caractère politique que revêt l’octroi du droit de vote aux étrangers résidents au Maroc et sa relation avec le développement des droits de la personne humaine, il reste que la répartition des intéressés à travers les communes du Maroc reste faible pour que son poids puisse intervenir dans la promotion de ce débat.

Dans plusieurs pays européens, dont la France, le débat sur le vote des étrangers a été introduit et mené principalement par les partis politiques, notamment les partis de gauche. Pensez-vous que ce sont les partis politiques qui doivent mener ce débat aujourd’hui au Maroc? Les conditions sont-elles réunies aujourd’hui pour mener ce débat?

Au Maroc, si le code électoral est «modifié et complété» à chaque échéance pour élargir le droit de vote, instaurer une discrimination positive par l’instauration de quotas envers les jeunes et les femmes et/ou déterminer des nouvelles conditions pour assurer le succès et la sérénité de l’opération de vote… Généralement, ces modifications viennent après la maturation du débat les concernant et font l’objet d’un consensus des acteurs politiques.

Il reste encore des sujets sur lesquels, soit le débat existe avec une implication des partis politiques et du tissu associatif concerné (participation des Marocains résidant à l’étranger aux élections législatifs…), soit qui relèvent du «perfectionnement» du processus démocratique dans son ensemble. On peut se demander si les conditions objectives et subjectives sont réunies pour débattre et formuler des projets de loi concernant l’octroi du droit de vote aux étrangers résidant au Maroc au moment où celui des Marocains à l’étranger n’a pas suscité le consensus nécessaire pour son application?

Quels seraient les craintes et défis quant à l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux étrangers  au Maroc?

On ne peut craindre une disposition reconnue explicitement par la constitution. Le défi qui  pourrait être implicite à l’octroi de ce droit serait dans la consolidation du processus démocratique dans son ensemble, sa maturation et l’irréversibilité de ses acquis.

Pensez-vous que «le droit de vote doit être l’aboutissement d’un long processus d’insertion» des étrangers, comme l’avançait François Autain en 1981?

L’étude de législation comparée concernant le droit de vote des étrangers aux élections locales en Europe montre l’existence de situations  diverses :

  • la non reconnaissance aux étrangers du droit de vote (Allemagne, Autriche et Italie). Dans ces trois pays, les tentatives d’élargissement du droit de vote aux étrangers ont échoué ;
  • l’octroi du droit de vote aux ressortissants de certains pays, soit sous condition de réciprocité et moyennant une durée minimale de résidence fixée au cas par cas (Espagne et Portugal) soit parce qu’ils ont la nationalité d’un État membre du Commonwealth (Royaume-Uni);
  • l’octroi du droit de vote à tous les étrangers qui ont résidé de façon continue sur leur territoire pendant une durée minimale (Belgique, Danemark, Luxembourg, Pays-Bas, Suède et plusieurs cantons suisses);
  • la reconnaissance de ce droit sans condition de résidence en soumettant les étrangers au régime des nationaux (Irlande).

Il s’avère que l’insertion des étrangers peut faciliter l’octroi du droit de vote aux ressortissants non nationaux sans pour autant que qu’elle soit la condition suffisante, voire déterminante pour cela.

Danielle France Engolo

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