Le ciel africain, entre promesses et réalités

Dans une chronique publiée par www.lesechos.fr, Julien Abidhoussen, consultant en aéronautique et défense, analyse les politiques africaine au niveau du transport aéronautique.

Souvent présenté comme un eldorado aéronautique, le transport aérien africain peine pourtant à éclore, entre émergence d’acteurs locaux fragiles et concurrence internationale accrue.

Un « ciel ouvert » africain parait aujourd’hui plus que nécessaire pour favoriser l’éclosion du trafic aérien et accompagner le développement économique du continent. 44 pays d’Afrique ont adopté en 1999 la Décision de Yamoussoukro visant à l’ouverture du transport aérien sur le continent. Malgré cet accord, la grande majorité des pays signataires continuent de protéger leur transporteur national, empêchant au passage toute réforme et évolution du secteur.

Le Maroc est un bon contre-exemple. Le royaume a signé un accord de « ciel ouvert » avec l’Europe sous la pression de son industrie touristique, après quelques difficultés, la Royal Air Maroc a su se transformer autour de son hub de Casablanca pour devenir un des leaders du ciel africain.

Avec 4,7 % de croissance annuelle du transport aérien prévue dans les années à venir et une population supposée doubler d’ici 2050, le continent propose des sous-jacents favorables. Ces opportunités, associées à l’émergence d’une classe moyenne, permettent d’envisager l’essor du transport aérien africain tant au niveau domestique qu’international. Pour autant, le continent est toujours à la peine représentant seulement 3 % du trafic passager mondial alors qu’il compte 15 % de la population du globe. L’Afrique ne possède que 3 compagnies parmi le Top 100 mondial par nombre de passagers au départ en 2015 – Ethiopian Airlines, South African Airways et Egyptair. Les raisons qui expliquent le difficile essor du transport aérien africain sont largement documentées : infrastructures défaillantes, carburant et taxes d’atterrissage élevés et absence de « ciel ouvert » africain.

Un marché domestique qui se structure dans la difficulté

« La plupart des compagnies africaines naissent et meurent en l’espace de quatre ans », se désole Abderrahmane Berthé, ancien PDG d’Air Mali et actuel PDG d’Air Burkina. La cessation d’activité de Sénégal Airlines en avril 2016 en est un exemple. Créée en 2011 avec des capitaux très limités, la compagnie a cumulé les mauvais choix pour finir par ployer sous sa dette. Néanmoins, des compagnies aériennes parviennent à tirer leur épingle du jeu. L’Afrique de l’Ouest voit s’opposer en ce moment deux compagnies au développement notable, la Togolaise Asky et l’Ivoirienne Air Côte d’Ivoire. Comme preuve de ce renouveau, Air Côte d’Ivoire signait l’an dernier une commande ferme pour deux A320neo, premiers exemplaires de la version re-motorisée du bestseller d’Airbus sur le continent africain.

Mais l’acteur local dont tout le monde parle est bien la compagnie éthiopienne, Ethiopian Airlines. La compagnie dont les revenus ont augmenté de 10 % par rapport à l’an dernier, a enregistré en 2016 un bénéfice net de 250 MEUR, plus élevé que ceux de toutes ses concurrentes africaines réunies selon l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA). Au-delà de ses bonnes décisions stratégiques, les analystes attribuent aussi le succès de la compagnie basée à Addis-Abeba à la bienveillance de son actionnaire exclusif, l’État éthiopien. Malgré ces bons résultats, le PDG d’Ethiopian Airlines, Tewolde Gebremariam, préfère insister sur les nombreux challenges auxquels les compagnies africaines sont confrontées : « 2016 a été une année particulièrement compliquée, les pays africains exportateurs de matières premières, et de pétrole en particulier, ont connu de graves difficultés. Le trafic aérien africain s’est contracté et les taux de changes se sont envolés, ce qui a fortement pesé sur les performances financières du secteur. C’est pourquoi nous sommes particulièrement fiers des résultats affichés par Ethiopian cette année. » Longtemps l’apanage d’acteurs locaux non rentables dotés de flottes microscopiques, la desserte intra-africaine compte désormais une étoile qui ne finit pas de monter.

Les vols internationaux disputés entre compagnies étrangères

Les compagnies européennes ont longtemps bénéficié d’une position favorable en Afrique pour des raisons historiques et géopolitiques, mais depuis quelques années les compagnies du Golfe entendent bien changer la donne. « Notre défi est de conserver notre leadership des vols vers l’Europe et l’Afrique, la difficulté aujourd’hui n’est pas tant la concurrence entre compagnies européennes que celle exercée par les compagnies du Golfe et Turkish Airlines » confirme Frank Legré, directeur général Afrique du groupe franco-neérlandais Air France KLM.

En effet, Turkish Airlines profite de son hub d’Istanbul, parfaitement situé entre l’Est et l’Ouest, pour proposer des temps de trajet optimisés aux voyageurs africains vers l’ensemble des destinations de la planète. « Nous sommes désormais l’un des premiers transporteurs aériens du continent. L’intérêt de nous y implanter est indéniable » explique TemelKotil, PDG de la compagnie turque. De même, les aéroports africains desservis par Emirates sont en constante augmentation depuis quelques années, représentant aujourd’hui 22 destinations réparties sur 17 pays. La compagnie basée à Dubaï ne compte pas s’arrêter là : « Chaque nouvelle destination au départ de Dubaï est un argument supplémentaire auprès de notre clientèle des pays africains, dont les aéroports sont souvent mal reliés au reste du monde », précise Hubert Frach, directeur commercial Afrique d’Emirates.

L’Afrique, dernier marché à conquérir pour le low-cost

En 2012, le fondateur d’Easyjet Sir Stelios Haji-Ioannou déclarait : « Le continent africain représente la dernière frontière pour la révolution aérienne que constitue le modèle low-cost, qui a commencé aux États-Unis dans les années 70 avant de se poursuivre en Europe dans les années 90 ». Ce visionnaire créait alors une nouvelle compagnie low-cost basée en Tanzanie, Fastjet, ayant pour projet de desservir l’Afrique de l’Est avant de se déployer sur toute l’Afrique. La compagnie basée à Dar es-Salaam annonce ses premiers mois rentables pour les opérations tanzaniennes dès 2014. Pourtant Fastjet traverse actuellement de graves difficultés et son avenir pourrait être en danger. La compagnie a annoncé un avertissement sur son résultat fin 2016 et son manque de trésorerie pourrait bien remettre en cause sa capacité à se financer à moyen terme. Le management tentait toutefois d’envoyer des signaux positifs aux investisseurs, « Le modèle low-cost a marché partout ailleurs et nous ne voyons aucune raison pour lesquelles il ne fonctionnerait pas ici » déclarait alors le CEO de Fastjet, Nico Bezuidenhout. En effet, avec l’émergence d’une classe moyenne, des infrastructures routières défaillantes et de grandes distances à desservir, le modèle low-cost semble avoir sa place sur le continent africain. Pourtant seule l’Afrique du Sud affiche pour le moment des compagnies low-cost au fonctionnement pérenne et durablement inscrites dans le paysage aéronautique du contient.

Julien Abidhoussen

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