«Les quatre saisons», de Mostafa Houmir

J’ai eu le réel plaisir de lire et d’apprécier les écrits de Mostafa Houmir depuis des années déjà, j’ai également eu le plaisir de l’entendre déclamer comme un tragédien grec ses poèmes, tous engagés et fort émouvants. Mais là, je suis heureuse de pouvoir le présenter à ses lecteurs en présentant son dernier recueil « Les Quatre Saisons » publié en Avril 2017 avec le concours du Ministère de la Culture.

 Est-il plus subversif qu’un poète qui, au bout de ses «quatre saisons», voudrait fuir la mort afin de survivre, et pour une raison des plus étranges ? Oui, survivre, rien que pour taquiner la vie, la défier au profit des marginalisés, des sans noms et des sans voix. Ecoutons sa dédicace : «A tous ces inconnus/Qui chérissent la vie» dit-il en page3!

Nul n’oserait pareil défi Prométhéen sauf un poète moderne oui, à la mémoire séculaire, vivante, palpitante ; mémoire incontournable du règne verbal du grand Sud rebelle, comme il le souligne encore en dédicace en reprenant Adonis :

 «Mes désirs,

C’est de rester l’étrange rebelle,

Et d’affranchir les mots

De l’esclavage des mots».

Mémoire d’un sud rebelle dont Houmir perpétue les icones et la quête au quotidien dans ses poèmes, ou plutôt ses crises de colère contre l’oubli et la déperdition, contre le sang de la haine et contre le plomb des dictatures. « Conscience malheureuse » du rôle de la poésie, Houmir devient le missionnaire de la mise à nu du réel qui lui fait citer en dédicace toujours (page5), ces mots de Jean Cocteau dans «Le secret professionnel» : «Voilà le rôle de la poésie. Elle dévoile, dans tous les sens du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent…».

Et comme l’avait prescrit un certain Chamsuddine Hafez Chirazi il y a bien des siècles, le poète Mostafa Houmir croit dur comme fer que « Tout homme se doit de devenir un livre » pour enseigner, quitte à saigner,  et que seul un fervent engagement par cette voix tonitruante contre le silence corrompu, cette voie de lutte acharnée contre le néant et le noir, qu’il entend réssusciter par la flamme de l’écriture et être, pour cet univers qu’il voit fragile et menacé, un «dernier rempart contre l’oubli» (Chirazi), au service des oubliés, tous les oubliés sur cette planète.

Ainsi, chaque moment de ce recueil constitue un mouvement (à l’origine moment vient de «mouvement») de continuité chronique et logique reliant le souvenir à la prospective, le passé au présent dans le dessein de construire un demain debout sur de bons pieds, dans un mouvement torrentiel dont seule la voix du poète traduit si bien la force et la rage. Donc, chaque moment de chaque saison de ce recueil est un généreux hommage à un humain en particulier, et à l’Humain en général dans toutes ses dimensions : (Madani Hassan Idcroum et le calvaire du militantisme sous la torture dans «Le mur» (poème3), l’accusation de l’obscurantisme et de l’amalgame et la déploration des victimes du terrorisme dans «La nausée» (poème4),  la dénonciation de la tyrannie du pouvoir dans  Kharboucha la rebelle(poème 5), l’incrimination de la maladie et de la mort dans «Aziz, l’immortel» (poème6) en hommage à son ami Aziz Elfarouki ou la condamnation des guerres intestines comme dans «Atteindre la mer» (poème14) en hommage aux rescapés syriens).

Pour essayer de nous rapprocher un peu plus de l’art de notre poète aux multiples casquettes, et sans prétendre explorer sa pensée si profonde, je me limiterai donc à l’art du titre dans son dernier recueil «Les Quatres saisons », (publié en avril 2017 avec le conours du Ministère de la Culture) très chargé de symbolique qui dégage un effet saisissant créant une impression de fluidité temporelle et d’universalité multidimensionnelle.

Pour ce recueil de 18 poèmes, allant du lyrique au pathétique, du didactique au tragique, et où se partagent dominante élégiaque et dominante épique, Houmir fait montre d’une verve prolifère et d’une plume mitrailleuse taillée dans du solide.  Un découpage thématique érudit digne d’un architecte créateur, un choix lexical très riche révélateur d’un homme de lettres au verbe exact et aiguisé, des tournures stylistiques frappantes par l’insistance acharnée des anaphores à changer le monde, et une recherche métaphorique qui marque non seulement le titre du recueil mais le traverse, telle la navette du tisserand, dans ceux des poèmes le constituant. Le tout faisant écho à une vie riche en « vies plurielles », en actions de même qu’en émotions.

Les quatre saisons poétiques de Houmir présentent, sur bien des points, une analogie avec celles en musique de Vivaldi qui disait composer une «confrontation entre l’harmonie et l’invention» (Vivaldi). Chez Houmir elle se veut confrontation entre la mort tant repoussée et le désir incessant de survie. «Je refuse de mourir » nous répète-t-il dans son 7ème titre «Mon dernier printemps», «Il n’est pas encore temps de partir» ajoute-t-il dans le 8°. De ce fait, la disposition des titres- 2 «Je survivrai» et 17 «Je croyais avoir tout dit»- n’a rien d’innocent puisque la Vie encadre, enchâsse, encercle et piège même la mort pour la vaincre et la dépasser. Là, ce grand poète, qui dénigre les rimes embrassées ou peut-être toute les formes fixes qu’il trouverait paraît-il figées ou dépassées, se plaît à faire embrasser des réalités antithétiques, en créant savamment cette dimension chez Vivaldi de la «confrontation entre l’harmonie et l’invention», et ce pour l’enchantement de l’enfantement, celui du sens bien évidemment.

Et comme «les quatres saisons» (poème1) d’une année ne suffisent jamais pour tout dire ni tout faire, ni d’ailleurs les quatres saisons d’une vie entière, celle du poète, celle de l’homme universel, Houmir- en fin architecte du temps- a choisi de placer ce titre éponyme en tête du recueil pour pouvoir se donner un sursis ( voir le poème 8 : «Il n’est pas encore temps de partir»),  afin de survivre le temps de 17 autres poèmes pour pouvoir dire ce qui lui reste sur le cœur dans une dernière transe qui traque l’éternité comme dans un perpétuel retour. Le chiffre 8 ne transcrit-il pas comme symbole mathématique l’infini ? «Je n’ai pas encore tout dit» nous confiera-t-il dans son 18ème  poème « Je croyais avoir tout dit » où on lira :

«Je croyais avoir tout dit

Je me suis trompé

Je n’ai encore rien dit

Maintes choses restent à dire

Je dois me mettre à écrire

Comme si je n’avais encore rien écrit

Je dois écrire

Avant de partir!»

Ce choix de disposition des titres et du découpage/ structuration dramatique, qui nous rappelle encore que nous sommes face à un dramaturge, se trouve donc appuyé par l’absence significative des signes de ponctuation, mais surtout par la numérologie. En effet, le choix du chiffre 18 comme nous venons de le voir est un indice de maturité de l’homme, et s’avère riche en connotations. On ne pourrait nier, comme le suggère ce chiffre, que nous avons affaire à un poète très réceptif, sensible à son environnement, insatisfait du réel pour lequel il est porteur de grands rêves de changement.  Mais pour une raison qui est LA RAISON de tout, la Femme (féminine, amoureuse, maternelle, source de la vie, gardienne des traditions, responsable de la continuité, héroïne de tous les fronts, trône au sommet de la pyramide drama-poétique de Houmir comme clé de tous les secrets, clé de tous les changements et clé de la floraison de toutes les saisons. Et c’est dans l’esprit de cette architecture que nous verrons les hommages à la femme dans les titres/cœur de ce recueil :

 «Tu es partie» (poème9) où on lira :

«Rien n’a plus de sens

Rien n’a plus de goût

Je deviens fou

Je suis foutu

Viens me ressusciter!

Rends-moi ma vie

Rends-moi à la vie!»,

ou bien «Bras de femmes» (poème10)

«Qui sont la terre natale

À laquelle reviennent les hommes

Après de longues années d’errance

De solitude et de souffrance

Retrouver leur source

Leur entité, leur force»

et encore «Chante-moi» (poème11) où le futur compte plus que le passé, où l’envie de lutte et de survie l’emportent et où «la femme est assimilée à la vie, à la nature avec tous leurs éléments:

«Quand tu m’auras chanté mon passé

Chante-moi autre chose

Plus importante que ma vie

Chante-moi la mélodie des roseaux

Le murmure de l’eau

La symphonie des oiseaux

Et la complainte des rameaux

Chante-moi le silence des monastères

Les mystères du désert

Et la grandeur de la mer

Chante-moi les gémissements de la terre

Les caprices des courants d’air E

t la colère des tremblements de terre

Chante-moi l’immensité de l’univers

Chante-moi et laisse-moi pleurer!

Un hommage poétique qu’épouse magnifiquement la toile de l’artiste Rachid Fassih intitulée «L’eau de la vie» et qui fait la  jaquette de ce recueil «Les Quatre Saisons».

Mostafa Houmir est insatiable, vous dis-je, un gourmand de la vie comme nous l’a montré cette architecture a-temporelle, il nous déclare comme un éternel pèlerin la poursuite déterminée de son chemin et nous invite à l’accompagner, ou à le suivre, dans son avant-dernier poème intitulé «La route» :

«Vers mon destin

Encore plus loin

Toujours loin

Je marche…»

Je vous réitère alors son invitation et, allons-y tous, faire un bon bout de chemin en poésie en compagnie du poète dont les poèmes méritent chacun plusieurs lectures plus approfondies.

Khadija El Hamrani

(Enseignante, poétesse, traductrice)

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