Scolarité

Assis en tailleur, une tablette devant chacun, nous étions une vingtaine à clamer à haute voix les quelques lignes de coran écrites par le fquih Si Bouchaib.  Il était assis sur une plateforme élevée, le chapelet à la main et suivait avec les yeux chaque élève. Si Bouchaib donnait beaucoup d’importance à cette séance matinale qui permettait aux passants de savoir que les enfants sont entrain d’apprendre. Il ouvrait son oreille à chacun pour le suivre dans sa lecture. Un bâton long et noueux lui permettait d’attirer l’attention de l’enfant concerné en lui faisant répéter les phrases non convenablement prononcées.

 Au fond de la salle, beaucoup plus calmement, les plus grands et les plus avancés s’apprêtaient à réciter le huitième, voire le quart, du hizb qu’ils doivent apprendre quotidiennement. C’est Si Mohammed, fils de Haj Ahmed, qui assumait son rôle de répétiteur pour cette tâche. C’est lui qui remplaçait l’autorité du fquih à ce niveau comme en d’autres circonstances où Si Bouchaib devait s’absenter. Le fait de suivre chacun de ses élèves dans leur parcours était en même temps une sorte de révision des acquis de Si Mohammed dans sa mémorisation du saint livre.

Il devait aussi préparer la décoration de la tablette quand un mahdar passe d’un hizb à l’autre. Ensuite, sa tablette sous son bras, l’élève en question est accompagné par l’ensemble de la classe jusqu’à sa maison où une fête est organisée à cette occasion. Une fois réunis dans le patio de la maison, les élèves forment un cercle au centre duquel se trouve leur compagnon qui vient d’entamer la mémorisation d’un nouveau hizb dont les premières ayates sont écrites sur la tablette avec une décoration faite de figures géométriques et de signes. Il fait le tour du cercle en sautillant sur un pied puis sur l’autre alors que ses amis de classe chantonnent à la gloire des parents et au mérite du fquih.

Après une légère collation mangée debout, les élèves de l’école coranique vont sortir de la maison pour faire le tour du derb. À chaque perron, la même litanie est ânonnée. Selon le degré de parenté avec celui qui a avancé dans la mémorisation du coran, des youyous sont lancés et le groupe est arrosé d’eau parfumée provenant de la distillation de fleurs d’orangers. Quelques sous sont donnés et des gâteaux sont distribués. Parfois, des œufs et d’autres victuailles sont donnés pour parvenir au fquih. Le retour à l’école coranique termine la ronde et l’événement. Le fquih trie les apports ; il met les sous dans la poche, ce qui n’est pas périssable dans une armoire se trouvant au dessus de sa place et le reste est envoyé à sa maison se trouvant accolée au msid.

Alors que les élèves sont renvoyés à leur maison, Si Mohammed se présente devant Si Bouchaib pour réciter le hizb quotidien. A la fin de cet oral, Si Mohammed se leva et salua son fquih en embrassant sa main. C’est en ce moment solennel que le fquih communique avec son étudiant pour l’orienter et lui rappeler le programme de sa formation. L’après-midi sera ainsi consacrée à reprendre des textes sur la grammaire arabe et la biographie du prophète. L’appel du muezzin pour la prière du dohr libéra l’ensemble.

Les après-midi dans le msid étaient longues et fastidieuses à supporter. Le fquih sortait pour la prière de l’asr et s’absentait parfois jusqu’au lendemain. On restait livrés à nous même sous la surveillance de Si Mohammed qui, tout en profitant de ce moment de liberté pour lui-même, laissait les enfants s’égaillaient. Un seul espace de la salle coranique ne pouvait en aucun cas être occupé par nos jeux, la place du fquih. On courait dans la salle ; parfois des duels de lutte se déroulaient au fond de la salle, à l’abri des regards. La malice des uns, la méchanceté des autres ne préservaient aucun des présents dont les plus faibles étaient mis à l’amende par les plus forts. On se retrouvait tels que nous sommes.

Dans certains jours, les yeux de Si Bouchaib se laissaient s’appesantir pour conduire le fquih dans une sieste profonde. C’était le moment pour les enfants de s’amuser tout en maintenant une certaine clameur par la lecture de ce qu’ils avaient sur leur tablette. Si Bouchaib était ainsi bercé dans sa somnolence. L’un des enfants se chargeait alors d’attraper une mouche. Un fois cela fait, il crachait dessus et passait l’insecte à son voisin qui en faisait autant. Cette opération terminée, il fallait mettre la mouche au dessous de la peau de mouton qui servait de litière au fquih. Ce rôle revenait au plus rusé, autant agile dans ses mouvements que studieux dans son apprentissage. Dans le cas où le fquih arrivait à se réveiller, il devait pouvoir réciter le contenu de sa tablette sans hésitation. Généralement il arrivait à placer l’insecte qui allait pousser Si Bouchaib à nous libérer pour le reste de la journée ; à moins que cette action ne soit combinée avec la sollicitation de l’un des passants, moyennant une offrande.

Certains enfants étaient scolarisés dans les établissements de l’enseignement moderne parallèlement à leurs études coraniques. Ceux qui ne l’étaient pas suivaient une formation professionnelle auprès des artisans de la ville. En ce temps, les filles avaient leur école et ne fréquentaient que très exceptionnellement le msid. La mixité ne se concrétisait qu’au collège ou cours complémentaires. La langue française partageait l’emploi du temps avec la langue arabe. La langue du colonisateur véhiculait aussi sa culture sans toutefois qu’elle puisse avoir une présence au sein de la famille. Tout se passait dans la classe et restait dans la classe. Ni devoir à la maison et encore moins des cours de soutien, l’apprentissage scolaire était une affaire entre l’élève et ses instituteurs auxquels s’ajoutait le directeur de l’établissement dans le cas de négligents récidivistes.

Les enfants se connaissaient dans l’ensemble et particulièrement par quartier d’habitation. Dans la cour de l’école, ils jouaient entre eux à colin-maillard ou à cache-cache. Tout le monde s’adonnait à ces amusements sous l’œil du directeur qui se trouvait sous le préau, à quelques mètres de son administration. On ne voyait les instituteurs et les institutrices qu’une fois que la cloche sonnait pour la reprise des cours. De nous même, on se mettait en rang, deux par deux, dans l’attente de la venue du maître ou de la maîtresse qui nous indiquait le temps de regagner la classe.

On apprenait à respecter l’autre quel qu’il soit et à venir en aide aux plus âgés et à ceux qui souffraient d’un handicap. On devrait être utile à autrui. La distinction se faisait entre le bon et le méchant et jamais entre le riche et le pauvre. La modestie régissait le comportement sans pour autant annihiler le sentiment de fierté quand il faut qu’il s’exprime. Dans cette éducation, l’ensemble des parents habitant le derb était concerné. Ce réseau d’observation ne laissait rien échapper. Certaines corrections corporelles se faisaient directement sans faire appel aux parents qui n’intervenaient que rarement. Il faudrait attendre l’adolescence pour se libérer de cette surveillance permanente par laquelle une éducation est acquise, celle qui va servir à déterminer sa vie d’adulte.

Mustapha Labraimi

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