Dell: l’art de remettre les compteurs à zéro

Fondé en 1984 par Michael Dell, le groupe vient tout juste de finaliser son processus de transformation, initialement positionné comme le troisième fabricant mondial d’ordinateurs et tourné essentiellement vers les consommateurs, en une société qui vise avant tout les entreprises et rivalise avec des mastodontes comme IBM, HP ou Cisco. Zoom sur l’entreprise qui illustre par excellence la «Success Story» américaine!

Mille dollars ! C’est la somme avec laquelle a été lancée l’entreprise américaine Dell, qui porte le nom de son fondateur Michael Dell. Ce dernier était encore étudiant (à l’Université d’Austin, au Texas) quand il a fondé sa société qui, à l’époque (en 1984), portait le nom de PC’s Limited. Il assemble ses premiers ordinateurs dans sa chambre d’étudiant ; le premier sera le Dell Turbo, qui contient un processeur Intel 8088 à 8 mégahertz. Il était vendu 795 dollars. Après une publicité dans un magazine spécialisé, il a été vendu en ligne. Assez polyvalent, il avait des qualités assez équilibrées pour des activités de loisirs ou de bureau. Il pouvait se connecter aux réseaux locaux, avec un disque de 10 Mo et un lecteur de disquettes 5,25 pouces.

Si ces spécifications sont aujourd’hui totalement dépassées, la configuration était, à l’époque, impressionnante. Grâce à cela, la machine est aujourd’hui au National Air & Space Museum de Washington au côté du premier PC IBM et du premier Apple ! L’entreprise prend rapidement de l’ampleur et Michael Dell arrête ses études dès l’âge de 19 ans pour se consacrer à sa société à plein temps. En 1987, la compagnie est rebaptisée Dell Computer Corporation. Très vite les choses s’accélèrent : une année plus tard, Dell fait son entrée en bourse. L’opération permet de lever 30 millions de dollars et lui donne une valorisation boursière de 85 millions. En 1989, Dell lance son premier ordinateur portable et, trois années après, elle entre dans le classement Fortune 500 des plus grandes entreprises américaines, faisant de Michael Dell le plus jeune PDG du classement.

Virages mal négociés ?

L’entreprise continue de produire du matériel innovant. Forte de son succès financier, elle se développe à l’international. En 1995, Dell est présente en Asie, au Japon et en Amérique. Le site internet Dell.com est lancé en 1996. Durant la même année, Dell n’est encore que le 7ème constructeur mondial de PC lorsqu’il décide d’encourager la montée en gamme de son grand fournisseur Intel vers les processeurs les plus puissants de la gamme Pentium. Objectif : vendre aussi des petits, puis des moyens serveurs, un marché moins concurrentiel que le PC et doté de marges bénéficiaires plus importantes.

En 1999, Dell a rattrapé le fabricant Compaq, puis le dépasse pour devenir le plus grand vendeur de PC aux Etats-Unis. En 2000, la compagnie américaine a livré son millionième serveur et contracte un accord avec EMC pour offrir des services de stockage et des solutions réseaux aux professionnels et aux particuliers. Cependant, quelques mois plus tard, l’entreprise perd la première place au profit de HP (après sa fusion avec Compaq la même année). Alors, comme pour affirmer le développement de l’entreprise au-delà de la vente d’ordinateurs, les actionnaires approuvent le changement de nom de la compagnie en «Dell Inc».

Seulement en 2004, Michael Dell quitte le poste de directeur général. Ainsi, en juillet de la même année, Kevin Rollins devenait président-directeur général. Ce dernier avait été remarqué par Dell alors qu’il réalisait un mandat de consultation pour la société Bain & Co dans l’entreprise texane au début des années 1990. En 1996, il intégra Dell où il devint rapidement le bras droit de Michael Dell. Lors de sa nomination, ce dernier prit le poste de président du Conseil d’administration. Ce découpage laissait entendre que Rollins veillerait aux opérations quotidiennes et que Dell se chargerait du développement de la stratégie.

C’est ainsi qu’en mai 2006, Dell annonce un nouveau partenariat avec le fondateur de processeurs AMD, mettant ainsi fin à 22 ans de relations exclusives avec Intel. Aussi, le modèle économique employé par Dell jusque-là atteint ses limites et conduit, en 2007, la société à perdre sa place de leader mondial du marché des PC. Afin de se développer sur le marché grand public, Dell adopte le principe de la vente indirecte et signe plusieurs accords de distribution avec des grandes chaînes de magasins comme Wal-Mart, Best Buy et Staples (aux Etats-Unis), Carphone Warehouse et Tesco (au Royaume-Uni, en Irlande, en Pologne, en République tchèque et en Slovaquie), Gome (en Chine) ou encore le Groupe Carrefour (en France, Espagne, Belgique…).

Michael Dell revient aux commandes

Les diversifications hasardeuses et la faiblesse dans le domaine n’expliquent pas à elles seules les difficultés de Dell. Le constructeur texan n’a pas su anticiper le retour d’HP, l’agressivité d’Acer et la reprise d’IBM sous les couleurs de Lenovo. Persuadés que leur modèle était inébranlable et que leur entreprise resterait numéro un mondial, les dirigeants du groupe n’ont pas vu que leur modèle n’était plus en phase avec la demande du marché. En 2006, la situation se dégrade. Selon l’institut Gartner, au cours du troisième trimestre 2006, HP a repris la place de numéro un mondial des ventes de PC à Dell. Sa part de marché a atteint 16,3%, contre 16,1% pour Dell, ce qui représente 110.000 PC livrés de plus.

Pour la société d’étude IDC, HP et Dell seraient en fait à égalité avec 17,2% du marché mondial. Quoi qu’il en soit, Dell est soumis à une pression concurrentielle en constante augmentation.D’autant qu’il lui faut aussi compter avec le chinois Lenovo, qui a débauché cinq salariés de Dell en un an, et le taïwanaisAcer, qui vise non seulement les Etats-Unis et l’Europe, mais aussi la Chine. Ces deux fabricants asiatiques ont baissé leurs coûts en jouant sur les prix des composants. Le fabricant de microprocesseurs AMD leur vend des puces moins chères que celles d’Intel et réputées tout aussi performantes. Aussi des fraudes financières sont découvertes mettant en cause certains dirigeants de l’entreprise et entraînant une enquête de la SEC, le gendarme de la Bourse américaine. Cette affaire, qui va traîner plusieurs mois, discrédite Dell auprès de la communauté financière.

La crise fut tellement aiguë que Michael Dell qui, depuis deux ans, avait pris du recul, s’est vu obligé de revenir aux commandes de l’entreprise. Dans la foulée, le départ à effet immédiat de son PDG Kevin Rollins a été annoncé. Dell, qui avait quitté ce poste en 2004 pour prendre la présidence du Conseil d’administration, lui succède. Rollins est le deuxième dirigeant à quitter aussi brutalement l’entreprise après le directeur financier James Schneider. «Kevin a été un grand dirigeant et un ami ; il a contribué au développement de notre activité pendant dix ans et je lui souhaite beaucoup de succès dans le futur», a déclaré Dell, dans un communiqué. Le groupe, qui n’a pas justifié le départ de Rollins, s’est contenté d’indiquer qu’«à l’heure actuelle, personne n’est mieux placée pour diriger Dell que celui qui a créé le modèle de vente directe et bâti cette compagnie au cours des 23 dernières années».

Dans une interview accordée en septembre 2006 au journal Les Echos, Dell déclarait :«M’occuper de Dell, c’est ma vie». Mais son retour s’explique sans doute d’abord par sa volonté de redonner une impulsion au groupe informatique. Il commence alors une profonde réorganisation du groupe dont l’objectif était de faire émerger un nouveau Dell, reposant sur un modèle économique bien différent du modèle originel, mais plus en phase avec les attentes du marché. Si ces propos ont rassuré les collaborateurs de l’entreprise, l’arrivée de la crise économique n’a pas tout de suite permis de constater les réels effets bénéfiques de ces changements. La rentabilité du groupe continue de baisser, et pour les ventes mondiales de PC, Dell est désormais talonné par Acer et se retrouve loin derrière HP. La transformation voulue par Michael Dell risque de prendre encore longtemps avant de porter ses fruits.

Dell retrouve sa liberté

Depuis 2007, l’entreprise s’est fait discrète essayant tant bien que mal de faire face à la concurrence, jusqu’au coup de tonnerre de ce 5 février 2013. Michael Dell a décidé de sortir de la Bourse pour un montant de 24.4 milliards de dollars avec l’aide des fonds de Silver Lake pour un milliard de dollars et ceux de Microsoft, le numéro un des logiciels pour deux milliards de dollars.

Alors que les marchés financiers ont injecté le carburant nécessaire à son démarrage et lui ont régulièrement apporté des ressources pour qu’elle puisse investir et s’imposer comme le leader mondial des ordinateurs portables dans les années 2000, Michael Dell leur tourne le dos. Car la bourse a certes accéléré sa croissance et décuplé ses capacités de financement, mais tant que l’entreprise a toujours été suffisamment rentable pour rémunérer le capital investi. C’est la raison pour laquelle il a souhaité quitter le circuit. Le fondateur redevient le propriétaire majoritaire d’une entreprise qui ne sera plus cotée. Un des géants de l’économie high-tech de 80.000 salariés va devenir une sorte d’entreprise «familiale». Pour expliquer ce retrait, Dell affirme vouloir s’émanciper de la pression boursière.

Depuis le milieu des années 2000, sa société peine en effet à renouveler ses gammes et son positionnement. Les nouveaux produits, comme la tablette Streak, ont été des échecs. L’entreprise doit donc changer de régime. Ses moteurs de croissance doivent être révisés, d’autant plus que le marché des micro-ordinateurs va connaître de fortes turbulences. Mais la transformation de l’entreprise prendra du temps et sera coûteuse. Pendant plusieurs années, elle grèvera ses profits, et donc les dividendes. Basée à Round Rock au Texas, Dell Technologies est aujourd’hui issue de la fusion en 2016 entre Dell Inc. et le géant du stockage informatique EMC, à laquelle se sont greffées d’autres sociétés de logiciels et de services.

La nouvelle structure compte trois divisions : Dell Client Solutions, Dell EMC Infrastructures Solutions et Dell EMC Services. Ses activités incluent la vente d’ordinateurs personnels, de serveurs, de logiciels informatiques, de sécurité et de réseau. Dell, EMC Information Infrastructure, VMware, Pivotal, RSA, SecureWorks et Virtustream sont quelques-unes des marques du groupe.Le groupe qui emploie 140.000 personnes a réalisé pour son année fiscale 2017 (soit les douze mois arrêtés au 3 février dernier), un chiffre d’affaires de 61,6 milliards de dollars, mais n’a toujours pas retrouvé la voie de la Bourse comme initialement prévu il y a trois ans.

Soumayya Douieb

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