Pour une pédagogie de l’information

Notre pays vient d’être au cœur d’une vaste campagne médiatique, un peu, comme dirait l’autre, «à l’insu de son plein gré». Une sur-médiatisation que la meilleure agence d’événementiel n’aurait pu assurer avec une telle intensité et un taux de pénétration et d’audience aussi important…Cela ayant coïncidé avec l’annonce de la candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du Monde,je ne suis pas loin de penser à une manœuvre diabolique qui viserait à nuire à l’image du pays. Ne sommes-nous pas en concurrence directe avec les USA, passés maître en la matière ? De Hollywood à Snowden, les dossiers noirs ne manquent dans les tiroirs de la CIA!

Plus sérieusement, face à cette triste séquence que traverse le pays, il s’agit de savoir raison garder. Dans tout ce « bruit », les faits sont occultés au bénéfice de leur médiatisation. J’ose alors avancer une hypothèse : à propos de tel fait ou de tel autre, absolument personne ne sait de quoi il s’agit réellement : de Barcelone à Casablanca, la surinformation a tout simplement tué l’information.Le traitement de l’information est le lieu d’une certaine frustration, d’une déception permanente. L’information, grâce aux réseaux sociaux, est le centre de toutes les manipulations, de toutes les polémiques ; peut-être parce que l’information est le lieu de croisement des pouvoirs: le pouvoir symbolique du média, le pouvoir institutionnel auquel renvoie forcément la circulation de l’information. Celle-ci étant par ailleurs un attribut du pouvoir, au sens large. Détenir une information, c’est instaurer un rapport de forces au détriment de l’autre, maintenu en situation d’attente, donc de dépendance.

Avant l’arrivée des médias dits sociaux, la télévision a très tôt saisi cette opportunité pour décréter l’information comme vecteur principal de la quête d’une identité médiatique. Comment se distinguer du cinéma et du journal, pour proposer un canal spécifique d’accès à l’information à même de fidéliser le récepteur. Le résultat fut très vite probant. Le fameux J.T (Journal télévisé) est devenu la figure incontournable de la télévision, réalisant des scores de captation du public frisant la cérémonie religieuse avant que d’autres formules ne viennent prendre le relais. Voir les succès des chaînes d’info en continu et désormais de tweeter et facebook. Ces performances n’ont cependant pas atténué les critiques, les mécontentements. Notamment par rapport aux chaînes publiques et surtout en période d’ébullition politique, ou d’événements majeurs. Loin de ces remarques de conjoncture, on peut postuler à l’égard de l’information une autre démarche.

Si on ne peut influer sur le traitement médiatique de l’information, on peut très bien proposer une pédagogie de la réception de l’information en favorisant chez le récepteur l’émergence d’une compétence informative. C’est-à-dire un récepteur en mesure d’identifier, de comprendre et d’interpréter le contenu informatif véhiculé par un support.

Deux voies théoriques s’offrent à nous dans cette perspective. Une approche s’inspirant de la théorie sociale du discours, et une analyse sémio-pragmatique du dispositif de fabrication et de mise en scène de l’information télévisée. Nous procéderons par étapes pour offrir une synthèse des outils théoriques susceptibles de nous permettre de sortir d’une réception «naïve» de l’information médiatique en général, télévisée en particulier.

Plusieurs propositions peuvent être ainsi formulées et que nous reprenons brièvement pour dire, tout d’abord, à un niveau stratégique d’élaboration de l’information, que la construction du sens du discours s’inscrit dans un cadre théorique constructiviste. Le sens n’est jamais donné par avance. Il est toujours le résultat d’une construction, le résultat d’une action langagière de l’Homme en situation d’échange social. Postulat renforcé par la proposition que le sens n’est jamais saisissable qu’à travers des formes. Face à un média, j’ai affaire en priorité à des formes. Or, «toute forme renvoie à du sens, tout sens renvoie à de la forme dans un rapport de solidarité réciproque».

Plusieurs conséquences en découleront. Par exemple, il est vain de parler de l’information médiatique en termes d’objectivité, de transparence ou de la fameuse «fenêtre ouverte» sur le monde. Aucune information ne peut prétendre, par définition même, souligne Patrick Charaudeau, à la transparence, à la neutralité ou à la factualité. Elle est toujours le résultat d’un travail de sémiotisation (un travail de signification, en terme simple). L’émetteur de l’information inscrit son acte dans une stratégie consciente qui prend en compte le type de cible visé. Toute information est le résultat de ce processus d’élaboration. Une pédagogie de l’information est un démontage -conscient- de ce processus. C’est dire que nous, citoyens lambda, avons du boulot : faire preuve de courage pour chaque jour.

Mohammed Bakrim

Top