Comment Khouribga a contribué à forger ma cinéphilie

Étant né à Khouribga au début des années quatre-vingt, mon rapport au cinéma a vu le jour sous le signe de deux tendances majeures de cette époque :

– L’explosion du marché VHS : notamment les préférences familiales axées sur l’engouement pour les cinémas arabes (Films d’Al-Aqqad, comédies égyptiennes style Adil Imam…) et les films américains d’action (Rambo, Rocky, Predator…). Une sorte de pêle-mêle où le bon grain côtoyait l’ivraie.

– La concurrence entre les deux uniques salles de cinéma khouribguies  Lux et Météore : où l’on privilégiait souvent la recette commerciale gagnante, à savoir le double programme : Film d’action ou d’arts martiaux + Mélodrame indien.

Et c’est à l’aube de la décennie quatre-vingt-dix que ma rencontre avec le FCAK a eu lieu, comme pour suggérer qu’une troisième voie est possible et qu’il existe un cinéma tissé autour de récits très proches de mon vécu et formulé dans un langage plus subtil que ce que j’avais l’habitude de regarder jusque là.

Ça s’est fait comme suit : en accompagnant un voisin à une projection à la salle des fêtes de l’OCP, j’ai eu l’occasion de découvrir un bout d’un film d’origine subsaharienne. Une fable qui m’a totalement absorbé vu la sincérité de son récit et l’authenticité de son atmosphère. Un parfum de vérité difficile à décrire se dégageait de l’écran et enveloppait tous mes sens. Il était bien de la même nature que le cinéma que je connaissais, mais quelque part, ça contrastait fortement avec les films où j’avais baigné jusqu’alors.

Plus tard, à l’occasion des mes marathoniennes séances de rattrapage sur DVD, j’ai su qu’il s’agit de Tilai (1990) d’Idrissa Ouedraogo, que j’allais rencontrer et interviewer vingt ans plus tard à l’occasion de l’hommage qui lui a été rendu dans le cadre du FCAK.

Entre temps, mon lien avec le festival va s’affermir graduellement au gré de mes disponibilités, mais ce n’est qu’au début du nouveau millénaire que j’allais couler dans le rythme des compétitions et commencer à me retrouver par rapport aux enjeux esthétiques des films.

Je me rappelle dans ce sens de certaines mémorables projections : «La voisine» de Ghaouti Bendedouche, «Ali Zaoua» de Nabil Ayouch, «Heremakono» d’Abderrahmane Sissako, «Moolaadé» de Sembene Ousmane…

A partir de 2006, ma relation au festival va prendre une nouvelle tournure quand ma vocation secondaire de cinéphile qui écrit sur le cinéma est entrée en jeu. Grâce à elle, j’ai pu approcher ceux qui font le cinéma africain et échanger avec eux autour de leurs films et expériences.

J’ai ainsi pu faire des rencontres qui ont beaucoup compté dans mon modeste parcours, notamment des entretiens (Publiés dans Cinémag, le quotidien libanais Annahar et ici même dans Al-Bayane) avec des figures de proue de la cinématographie africaine : Timité Bassori, Idrissa Ouedraogo, Fadika Kramo-Lanciné, Abdellatif Ammar, Cheick Oumar Sissoko, Baba Diop… Mais aussi des rencontres humaines très enrichissantes avec des amis de longue date : Mama Keita, le regretté Cheikh Fantamady Camara, le journaliste sénégalais Aboubacar Demba Cissokho, Youssouf Djaoro…

Mais les rencontres essentielles restent celles que nous faisons avec les films. Je n’oublierai jamais par exemple d’avoir découvert coup sur coup : «Bamako», «Le Chaos » puis «Mon nom est Tsotsi» pendant l’édition de 2008, et d’avoir assisté en salle, à l’occasion des hommages, aux émouvantes projections de «Cairo Station», «Badis», «Le chauffeur du bus » et «La femme au couteau»…

Le FCAK c’est aussi les incontournables échanges lumineux pendant la matinée et les discussions de minuit à l’atmosphère quasi spirituelle orchestrées par Noureddine Sail, la figure emblématique du festival.

Tout ça se conjugue pour faire une manifestation spéciale portée par une grande histoire et marquée par le sceau du charme qu’elle puise dans sa magnifique prédilection : la générosité indéniable de l’Afrique et l’inépuisable richesse de ses cultures. Un fond immatériel inestimable que le FCAK n’a cessé de véhiculer et célébrer pendant ses 40 ans d’existence.
Très Joyeux quarantième au FCAK et à tous les FCAKiens dans l’âme. Et que vive le Cinéma!

Saïd  El Mazouari

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