Forum du PPS sur «les disparités sociales et spatiales»

Oui, il est possible de réduire les inégalités….

Dans le cadre des préparatifs du 10e Congrès national du Parti du progrès et du socialisme, prévu en mai prochain, une nouvelle rencontre-débat sur les disparités sociales et spatiales, qui constitue le prolongement d’une autre table ronde, organisée le 14 courant sur la pauvreté et l’essoufflement du modèle de développement du pays, a réuni, mardi soir au siège national du parti à Rabat un parterre de spécialistes comprenant le Pr Noureddine El Aoufi, auteur de plusieurs publications dont un récent ouvrage intitulé « Les inégalités réelles au Maroc. Une introduction », Editions Economie critique, Rabat (avec Saïd Hanchane), Abdelaziz Nihou, chargé de mission auprès du chef de gouvernement et ancien responsable au sein du Haut-commissariat au plan (HCP), le député Rachid Hammouni et le géographe Pr Moussa Karzazi, récemment nommé professeur universitaire honoraire.

Pr Seddiki, membre du BP du PPS, modérateur du débat : oui c’est possible de réduire les inégalités

Comme il l’a souligné dans un récent article de presse, dont il m’a rappelé l’intitulé, il est en effet possible de réduire les inégalités sociales et spatiales.

Selon Pr Seddiki, les inégalités sociales au Maroc sont d’une telle intensité qu’elles sont visibles à l’œil nu. Dès lors, il n’est nul besoin de recourir aux statistiques qui restent d’ailleurs biaisées et partielles, tant elles n’intègrent pas tous les paramètres qui déterminent les inégalités. Les données en la matière se limitent aux seules enquêtes sur la consommation et fournissent très peu d’indications quant aux revenus et aux patrimoines. Ces inégalités sociales sont dues pour l’essentiel au modèle de développement à l’œuvre depuis l’indépendance nonobstant quelques inflexions qu’il a connues au cours des dernières décennies d’une part et aux dysfonctionnements des politiques publiques en matière de redistribution d’autre part. Par conséquent, toute politique qui vise à réduire ces inégalités se doit d’agir sur ces deux leviers : revoir le système de répartition primaire des revenus et mettre en place une redistribution efficiente des richesses à travers des politiques sociales actives et inclusives.

Au niveau de la répartition primaire, on relève que les revenus du capital constituent la part du lion du revenu national : ils représentent plus de la moitié du «gâteau national» quand un petit tiers va aux travailleurs qui constituent la force vive du pays. Le reste, autour de 20%, constitue le revenu de l’administration sous forme de recettes fiscales. Cette répartition primaire, on ne peut plus injuste, est doublement pénalisante : pour le pouvoir d’achat de la population et pour le développement du pays. L’objectif serait dans un premier temps de parvenir à un partage du gâteau selon au moins la règle des trois tiers. Cela permettrait à l’État de disposer de plus de ressources pour conduire une politique sociale ambitieuse et corriger les imperfections nées de la répartition primaire.

Pour ce faire, il n’y a pas d’autre voie que celle de la fiscalité à travers une réforme fiscale basée sur les principes d’équité et de transparence : lutter sans merci contre la fraude et l’évasion fiscales en intégrant le secteur informel. Comme la répartition primaire n’est jamais totalement juste, les pouvoirs publics doivent procéder à une répartition secondaire à travers une redistribution des revenus. Il s’agit tout d’abord de la généralisation du système de couverture médicale et sociale en visant, à terme, la mise en place du «socle de couverture universelle» englobant la couverture médicale, la retraite, les allocations familiales, l’assurance contre les accidents de travail et les maladies professionnelles, l’assurance contre le chômage. C’est un vaste chantier sur lequel il faut travailler d’arrache-pied car le rythme actuel ne nous permet pas d’aller aussi vite qu’on l’aurait souhaité. En effet, le projet en cours consistant à généraliser la couverture sociale aux professions indépendantes (artisans, agriculteurs, commerçants, professions libérales) suscite quelques inquiétudes. Il y a ensuite les services publics dont la population a besoin et qui couvrent toute une série de domaines comme l’éducation, la santé, les transports, la culture et les loisirs… Ainsi, un enseignement public de qualité épargnerait aux ménages modestes des dépenses qui pèsent lourdement sur leur budget. Il en est de même pour la santé et les autres secteurs. Enfin, dans le cadre de la solidarité nationale et du raffermissement du sentiment d’appartenance à la nation, des filets de sécurité doivent être mis en place à destination des populations vulnérables aux besoins spécifiques. Ce ciblage, par définition limité, doit concerner les personnes exclues, pour une raison ou une autre, du marché du travail.

À cet égard, il faut procéder à une remise à plat des politiques sociales, avec la mise en place d’une nouvelle gouvernance assurant la convergence et l’efficience des programmes concernés. Pour les autres personnes, il faut «faire feu de tout bois» en vue de leur assurer un emploi stable et rémunérateur à travers une politique visant le plein emploi des ressources humaines disponibles. Cet objectif ne relève pas de l’utopie. Il est à notre portée à condition de faire travailler notre intelligence collective, de mobiliser l’ensemble des acteurs autour de la lutte contre le chômage et de mettre la question de l’emploi au centre des politiques macro-économiques. La Stratégie nationale pour l’emploi indique les mesures précises à mettre en œuvre mais le gouvernement actuel, comme le précédent, n’y accordent que peu d’égards. En somme, si nouveau modèle de croissance (de développement) il y aura, ce sont là à mon sens les principaux leviers qui devraient en constituer l’ossature de base. Les Marocains ont trop patienté, on ne peut pas leur demander plus. Ils veulent un partage équitable des fruits de la croissance. Ici et maintenant.

Noureddine El Aoufi : les inégalités dont on parle sont réelles

Pour Pr El Aoufi, les inégalités dont on parle sont réelles. C’est une réalité qui traduit un déficit social, qui perdure et persiste, en dépit des efforts d’investissements colossaux consentis durant les 20 dernières années, c’est-à-dire depuis le gouvernement de l’alternance consensuelle.

«Mais pourquoi la politique pro-pauvres a-t-elle échoué malgré tout ce qui est fait pour combattre la marginalisation et l’exclusion?», s’est-il interrogé, rappelant que cette politique de croissance pro-pauvres a été lancée, suite à des sinuassions des bailleurs de fonds, qui s’inquiétaient de voir le fossé s’agrandir entre pauvres et riches. L’impact des politiques macroéconomiques ne se ressent pas au niveau des couches pauvres.

Il a ensuite passé en revue un ensemble de théories avancées en la matière dont celle du ruissellement, selon laquelle l’impact des investissements réalisés par les grandes fortunes va du haut vers le bas. Et c’est pour  débattre de la portée d’une telle théorie qu’il a commencé depuis 2008 à écrire l’ouvrage sur «les inégalités réelles au Maroc» dans le but de chercher des réponses aux interrogations que suscitent, notamment la persistance du déficit social et l’appauvrissement grandissant de la population, en raison notamment de la reproduction des disparités sociales et spatiales.

Il a ensuite exposé une série de théories développées depuis le milieu des années 50 par des auteurs dont certains estiment que l’existence de ces déséquilibres sociaux serait même indispensable dans une première étape à l’œuvre de développement.

Après avoir été occultée pendant une longue période, la problématique des disparités sociales et spatiales a de nouveau focalisé l’intérêt de la gauche y compris au Maroc, a-t-il dit. La question sociale est devenue même un sujet à la mode auxquels nombre d’économistes ont consacré leurs travaux dont John Ross, pour qui la soutenabilité et l’acceptabilité des disparités dépendent de leur contribution à l’amélioration de la situation des couches sociales pauvres.

Il a ensuite passé en revue d’autres théories dont celle de la justice sociale, dont se sont inspirées nombre d’organisations internationales dont le PNUD.

Après avoir rappelé plusieurs nouveaux concepts développés en la matière (capabilité, droits formels comme l’enseignement et la santé, l’effectivité des droits), il a souligné qu’il ne suffit pas de réclamer l’égalité des chances pour régler le problème. Il a fait savoir aussi que les gouvernements qui se sont succédé au Maroc au cours des 20 dernières années se réfèrent surtout au revenu pour cerner les disparités et autres inégalités, oubliant que cette situation est le résultat aussi des inégalités acquises. A la naissance même.

«Que faire donc?», s’est il interrogé. Car le phénomène commence dès l’enfance à l’école et s’approfondit tout au long de la trajectoire de tout un chacun, par le biais de la reproduction du phénomène.

C’est donc un cercle vicieux qu’il n’est pas impossible de quitter, à condition toutefois de revoir les priorités en concentrant l’investissement sur le développement, la réduction des disparités, et en couplant gros projets structurants et grands projets sociaux.

La réforme fiscale est aussi un impératif majeur pour financer l’investissement, la performance économique en même temps que la justice sociale, a-t-il encore dit.

Abdelaziz Nihou : le faux débat, une perte de temps et des opportunités de réduire les inégalités

Pour le chercheur Abdelaziz Nihou, les faux débats, ceux qui ne réservent pas à la problématique des inégalités une approche globale, font perdre au pays l’opportunité de focaliser l’effort sur les moyens de réduire ces inégalités, qui ne peuvent en aucun cas être totalement éradiquées.

Exposant les conclusions d’un colloque sur « la problématique des inégalités, un enjeu crucial pour le développement du Maroc », organisé par les services du chef de gouvernement, il a souligné qu’il s’agit d’un problème global qui a un effet néfaste sur l’harmonie sociale allant jusqu’à entraver le développement des pays.

Et comme l’avancent les théories classiques, a-t-il rappelé, là où il y a pauvreté, il y a des inégalités et disparités sociales.

Revenant au cas du Maroc, il a fait savoir, que le sous emploi, la redistribution des revenus, la faillite du système d’enseignement, la politique fiscale inéquitable, la difficulté d’accéder aux moyens de production, la rente et la corruption constituent des obstacles réels qui entravent toute action de réduire les inégalités et disparités sociales.

Pour y faire face, il a recommandé notamment d’accorder davantage d’intérêt à l’investissement dans le capital humain et d’intensifier toute œuvre de libération des énergies pour redresser la situation et redonner espoir aux couches en difficulté.

Rachid Hammouni : c’est l’état qui est à l’origine de l’échec du Ramed

Lancé en 2008 dans le but de permettre à ceux qui sont dans une situation de pauvreté ou de précarité et sans assurance-maladie d’accéder aux services de santé, le RAMED (régime d’assistance médicale) a dépassé l’objectif de millions d’inscrits. Les Ramedistes munis d’une carte sont aujourd’hui au nombre de12 millions : 4 millions de pauvres et 4 millions en situation de précarité, a-t-il savoir, ajoutant que l’Etat s’était engagé à financer ce régime à hauteur de 75%, le reste étant pris en charge par les collectivités et les bénéficiaires.

Selon Rachid Hammouni, les dysfonctionnements structurels qui entravent la bonne marche du secteur de la santé sont dus surtout au fait que l’Etat n’a pas respecté ses engagements envers le RAMED, dont la faillite serait catastrophique pour les hôpitaux et établissements publics de santé.

Selon lui, les hôpitaux publics ne sont plus en mesure de répondre aux demandes des Ramedistes et à tous les patients qui s’y rendent, en raison notamment de la faiblesse des financements dont ils bénéficient, du non règlement des arriérés qui leur sont dus pour couvrir les frais des soins prodigués aux Ramedistes et de la modestie du budget annuel et des recettes. 90% des personnes assurées préfèrent en effet se faire soigner ailleurs dans les établissements privés.

Quant au Pr Moussa Kerzazi, il a consacré son exposé aux disparités spatiales dans le monde rural en rapport avec les villes, axant son analyse sur le cas de la Région de Rabat-Salé Kenitra. Il a rappelé que la campagne marocaine accuse un déficit scandaleux en infrastructures de base et que le modèle de développement en place ne fait qu’aggraver les inégalités.

Ces exposés ont suscité de longs débats sur les inégalités sociales dans le pays et les malheurs sociaux qu’ils causent dont le dernier drame de Jerada, qui a coûté la vie le 21 décembre courant à deux  mineurs « clandestins » dans l’éboulement d’une galerie improvisée dans un puits à charbon.

Driss Redouani : Jerada, une région sinistrée

Selon Driss Redouani, membre du BP, Jerada est une zone sinistrée depuis la fermeture de l’usine et de la mine, situation qui ne profite à présent qu’à ceux qui ont obtenu des permis de recherche et d’exploitation, lesquels ont transformé les activités (clandestines) d’extraction, d’exploitation, de transport et de commercialisation du charbon en une rente très juteuse: 3000 DH pour l’obtention d’un laissez-passer pour un petit véhicule de transport et 6000 DH pour un autre de plus grande taille.

Quant au projet de transformer, d’après une étude réalisée par l’Agence de développement des préfectures et provinces du Nord, la zone abandonnée de la mine en un parc touristique pour générer des revenus à la collectivité, il est toujours bloqué quelque part. On n’en parle pas et personne ne sait pourquoi.

Sans s’attarder sur les explications, il a indiqué que la réduction des disparités sociales et spatiales est possible, à condition toutefois de mettre en œuvre un plan de développement ambitieux visant à la réalisation d’un projet social fondé sur le respect des droits et libertés, de la dignité et de la justice sociale.

M’barek Tafsi

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