Odebrecht, une entreprise de BTP qui ébranle l’Amérique Latine…

Si, à première vue, «Odebrecht» ne dit pas grand-chose à de nombreux lecteurs, cette dernière n’en finit pas de faire tomber des têtes et non des moindres dans toutes les sphères du pouvoir en Amérique Latine et restera, à n’en point douter et pendant longtemps encore, le premier sujet de toutes les campagnes électorales à venir au Brésil, en Colombie, au Mexique, au Pérou, en Equateur ou encore au Panama pour ne citer que ceux-là.

Odebrecht est un grand groupe de BTP brésilien créé dans les années 40 du siècle dernier par Norberto Odebrecht, un fils d’immigrés allemands qui avait su profiter de l’essor industriel qu’avait connu le pays après la guerre et qui a pu, grâce à d’étroites relations avec les différents gouvernements et  à l’octroi de juteux pots-de-vin, rafler la plupart des marchés de construction de routes, de barrages, d’aéroports, de quartiers résidentiels et autres.

Ainsi, si pendant les années 1980, qui virent le retour de la démocratie dans le pays, les carnets de commandes du groupe étaient bien remplis, Odebrecht a réellement vécu son âge d’or sous les deux présidences successives de Lula (2002-2010). C’est à cette époque que le groupe a pu élargir ses activités grâce notamment aux chantiers de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques et décrocher de fructueux contrats hors du pays moyennant le versement de rétributions conséquentes. Utilisant un procédé assez simple qui consistait à surfacturer ses travaux et à verser une partie de l’argent perçu aux responsables politiques du pays concerné, Odebrecht est devenu, ainsi et en un temps record, une véritable multinationale de la corruption.

Le pot-au-rose a été découvert à partir d’une petite enquête effectuée en 2014 dans une station-service sise à Brasilia dont le propriétaire était soupçonné de blanchiment d’argent et qui, durant son interrogatoire a conduit les enquêteurs vers Petrobras, «PetroleoBrasileiro», le géant pétrolier brésilien. En épluchant ce dossier, ces derniers découvrirent alors un vaste système de commissions occultes versées à des entreprises et à des hommes politiques de tous horizons. Parmi les entreprises concernées figurait Odebrecht en très bonne position. En tapant à la porte de ce groupe, les enquêteurs tombèrent alors sur le plus vaste scandale de corruption d’Amérique Latine. Aussi, pour pouvoir en suivre toutes les méandres et en connaître toutes les ramifications, ils optèrent pour la méthode dite du «delaçaopremiada» c’est-à-dire de la dénonciation récompensée par une réduction de peine.

Arrêté et condamné à 19 années d’emprisonnement pour blanchiment d’argent, association criminelle et corruption active, Marcelo Odebrecht, surnommé «le prince des entrepreneurs», patron du groupe et petit-fils de son fondateur, va ainsi voir sa peine écourtée en «balançant» aux enquêteurs les noms de tous ceux qui auraient bénéficié desdites commissions et en reconnaissant avoir versé plus de 750 millions d’Euros en pots-de-vin à plusieurs dirigeants politiques et hauts fonctionnaires du Brésil, de Colombie, du Mexique, du Pérou, de l’Equateur et du Panama pour ne citer que ceux-là…

I-Au Brésil :

L’enquête menée au Brésil où avait été lancée la fameuse opération «Lava jato» (Lavage express), a révélé que le montant des pots-de-vins versés par Odebrecht à des responsables politiques brésiliens aurait atteint la bagatelle de 300 millions de dollars dont aurait bénéficié, au premier chef, le Parti des Travaillistes, au pouvoir de 2003 à 2016.

C’est à ce titre, d’ailleurs, que l’ancien Président Luis Inacio Lula da Silva avait été condamné à neuf années et six mois d’emprisonnement pour corruption et blanchiment d’argent dans un seul des cinq dossiers pour lesquels il était poursuivi. Les investigations entreprises ont mis à jour un vaste réseau de corruption et de trucage systématique des marchés publics.

Lula, qui avait déjà nié en bloc toutes les accusations portées contre lui en se disant «victime d’un massacre médiatique», a été, tout de même, reconnu coupable «d’avoir bénéficié de largesses à hauteur de 3,7 millions de réais (10,6 millions d’euros)» de la part d’OAS, une grande entreprise de BTP. Cette dernière lui aurait offert un triplex dans la station balnéaire de Guaruja pour le remercier d’avoir bien voulu intervenir en sa faveur lors de la signature de contrats avec Petrobras.

Son avocat  ayant immédiatement fait appel de cette condamnation en déclarant : «Nous faisons appel et prouverons son innocence devant toutes les cours impartiales y compris les Nations Unies», l’ancien chef de l’Etat est toujours en liberté dans l’attente de la tenue de son procès en appel.

Mais, si la condamnation de Lula est confirmée, celui qui avait présidé aux destinées du Brésil de 2003 à 2010 sera emprisonné et ne pourra donc pas se présenter, comme convenu, aux élections présidentielles de 2018 alors même qu’il est encore donné largement favori dans les intentions de vote ; ce qui fait dire à la sénatrice Gleisi Hoffmann, la Présidente du Parti des Travailleurs, que cette condamnation- prononcée par le juge Sergio Moro,  lui-même candidat aux prochaines élections présidentielles – n’est qu’une vaste supercherie qui n’aurait, de toute évidence, pour objectif que d’empêcher Lula de briguer, encore une fois, la magistrature suprême.

Ce scandale a également éclaboussé DilmaRoussef l’autre présidente issue du Parti des

Travailleurs du Brésil. Cette dernière s’était vue alors destituée à l’issue d’un vote par 61 voix contre 20, soit bien plus que les deux tiers nécessaires à son départ définitif. C’est son vice-Président Michel Tener qui la remplacera. Or ce dernier, à l’instar d’autres responsables politiques comme le sénateur de Sao Paulo GeraldoAlckim pressenti pour être candidat à la Présidence du Brésil lors des prochaines élections, sont également mis en cause.

II – En Colombie :

Odebrecht a également reconnu avoir versé une somme globale de quelques 11 millions de dollars de pots-de-vin à des hommes politiques colombiens dont principalement le Président Juan Manuel Santos. Ainsi, d’après le procureur général colombien Nestor Humberto Martinez, l’entreprise brésilienne  aurait remis, au chef de l’Etat colombien et dans le cadre du financement de sa campagne électorale, près de 940.000 euros par l’entremise d’Otto Bulla, un ancien sénateur du Parti Libéral, un parti fondé par l’ancien président colombien Alvaro Uribe considéré comme étant un intime de Pablo Escobar et le principal opposant à l’accord de paix conclu l’année dernière entre le Gouvernement colombien et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC).

Odebrech aurait, également, remis à Bulla près de 4,5 millions d’euros pour corrompre des fonctionnaires non encore identifiés au titre de l’obtention d’un contrat de construction routière.

Il est à signaler, par ailleurs, que ce n’est qu’après que la firme ait été condamnée à s’acquitter d’une amende de 3,5 milliards de dollars aux Etats-Unis dans le cadre du MERCOSUR que les autorités colombiennes ont commencé à enquêter. Aussi, pour «soigner son image», le Président colombien a affirmé qu’il souhaiterait que «tout le poids de la loi tombe» sur tout membre de son gouvernement qui serait impliqué dans ce scandale.

Et si, enfin, de nombreux sénateurs colombiens de différents partis sont cités par la Justice, il faut rappeler que  la Constitution colombienne ne permet plus au président Santos de se représenter après son second mandat à la tête du pays.

III – Au Mexique :

L’enquête menée au Mexique a révélé que les cadres d’Odebrecht auraient distribué quelques 10,5 millions de dollars à certains gouverneurs et membres du gouvernement et que le Président mexicain Enrique PenaNieto aurait même rencontré, à plusieurs reprises, le patron du groupe brésilien Marcelo Odebrecht.

Emilio Lozoya, ex-directeur de la compagnie pétrolière mexicaine Pemex et proche du président PenaNieto a comparu en Août dernier devant le ministère public mexicain pour répondre des accusations qui pèsent sur lui. Il lui est reproché notamment d’avoir perçu près de 10 millions de dollars pour faciliter l’octroi de marchés publics à l’entreprise brésilienne dont notamment un contrat d’un montant de 115 millions de dollars au titre de la modernisation d’une raffinerie mexicaine.

Cadre influent du Parti Révolutionnaire Institutionnel, au pouvoir, Lozoya aurait ainsi perçu un premier acompte de 4 millions de dollars avant même sa nomination à la tête de l’entreprise étatique mexicaine Pemex ; une affaire qui, à la veille des élections prévues cette année, risque d’affaiblir encore plus le PRI fortement éclaboussé par diverses affaires de corruption au moment où l’opposition réclame l’ouverture d’une enquête pour déterminer si les sommes ainsi perçues ont servi à alimenter la campagne électorale de 2012 du président Enrique PenaNieto.

IV – Au Pérou :

Au Pérou, c’est toute la classe politique qui serait concernée. L’ancien chef de l’Etat Alejandro Toledo (2001-2006) avait fui son pays pour les Etats-Unis après avoir été accusé d’avoir touché 20 millions de dollars de la part du Groupe Odebrecht. Il est visé, pour l’heure, par un mandat d’arrêt et par une demande d’extradition.  L’ex-Président OllantaHumala (2011-2016) est, quant à lui, en détention provisoire après avoir été accusé d’avoir perçu trois millions de dollars lors de sa campagne électorale. Il en est de même pour Alan Garcia qui était à la tête du Pérou de 2006 à 2011. Ainsi, tous les présidents péruviens seraient donc tombés dans ce fameux «gouffre» ayant pour nom «Odebrecht».

Alberto Fujimori qui avait présidé aux destinés du Pérou de 1990 à 2000 avait été menacé de destitution par le Congrès après que celui-ci ait apporté des preuves l’accusant de corruption et l’ait reconnu coupable de crimes contre l’humanité pour avoir notamment commandité les massacres qui, en 1991 et 1992, avaient coûté la vie à 25 guérilleros.

Il quittera alors le Pérou pour le Japon d’où sont originaires ses parents et de là il enverra sa démission par fax à partir d’un hôtel de Tokyo. Mais le gouvernement japonais n’accédera jamais aux multiples demandes par lesquelles le Pérou réclamait l’extradition de son ancien président. Aussi, ce n’est qu’en 2007, soit deux années après que celui-ci se rendit au Chili, que les autorités de Santiago le remirent entre les mains de la justice péruvienne qui le condamnera à 25 années d’emprisonnement.

En décembre dernier, dans un communiqué émanant de la Présidence de la République péruvienne, il avait été annoncé qu’après avoir fait l’objet d’un examen médical approfondi, il est apparu que l’ancien chef de l’Etat du Pérou souffrirait «d’une maladie dégénérative incurable (et qu’à ce titre) les conditions carcérales représentent un danger pour sa vie, sa santé et son intégrité physique».

Or, l’annonce de cette « grâce présidentielle humanitaire» serait intervenue quelques jours à peine après que l’actuel président péruvien Pedro Pablo Kuczynski, lui-même menacé de destitution, ait promis à certains parlementaires partisans de Fujimori qu’il libèrerait l’ancien chef de l’Etat en échange de leur soutien ; ce que  le gouvernement péruvien réfute en arguant que la libération du détenu a été accordée par le Président en réponse à une requête introduite par Alberto Fujimori. Mais cette libération n’avait pas été du goût de tous les Péruviens qui, dès le lendemain, sont descendus dans la rue pour la dénoncer.

Mais pourquoi donc la grâce «humanitaire» accordée par l’actuel Président Péruvien à un vieil homme malade qui a même demandé pardon à ses compatriotes a-t-elle suscité autant de controverses ?

Pour comprendre les faits, il faut revenir au 21 décembre dernier quand le président Kuczynski avait été entendu par la justice péruvienne après que «La Republica» ait révélé que le grand groupe brésilien de BTP, Odebrecht a déclaré avoir versé, entre 2004 et 2014 près de 4,8 millions de dollars de pots-de-vins à deux sociétés de conseil qui lui sont liées, à savoir,  Westfield Capital et First Capital en contrepartie de contrats de marchés publics.

A noter, également, que même la cheffe de l’opposition, Keiko Fujimori, se trouve sous le coup d’une enquête dans le cadre du dossier Odebrecht.

V – En Equateur :

Lors de la campagne électorale à l’issue de laquelle le Président Lénin Moreno avait accédé, en, Mai dernier, à la plus haute fonction de l’Etat, le dossier «Odebrecht» était au centre de toutes les discussions après que le célèbre Groupe brésilien ait révélé avoir donné des pots-de-vin à des responsables de très haut niveau dans 7 des 10 gouvernements du pays ; ce qui avait poussé le candidat-président à se déclarer profondément «anti-corruption» et à déclarer son intention de procéder à une «chirurgie totale».

A noter, toutefois, qu’après avoir été convaincu de corruption, le vice-président équatorien Jorge Glas a été placé le 2 octobre dernier en détention préventive puis condamné à 6 années d’emprisonnement pour avoir perçu 13,5 millions de dollars de pots-de-vin de la part du groupe Odebrecht.

VI – Au Panama :

Le géant brésilien Odebrecht a reconnu, également, avoir versé, entre 2009 et 2014, plusieurs millions de dollars de pots-de-vin aux deux fils du Président du Panama Ricardo Martinelli ainsi qu’à plusieurs de ses ministres de l’époque.

Selon la procureure anti-corruption Zuleyka Moore, les fils de l’ancien chef de l’Etat auraient «exigé le paiement de six millions de dollars», somme qui leur avait été versée par André Campos Rabello, l’ancien patron d’Odebrecht au Panama, en contrepartie de l’octroi des marchés de construction d’une autoroute et de l’assainissement de la Baie de Panama. Actuellement en fuite et recherchés par Interpol, les intéressés auraient également perçu près de 50 millions de dollars pour divers autres services rendus à l’entreprise brésilienne.

Frank de Lima et Jaime Ford, respectivement anciens ministres de l’Economie et des Travaux Publics ainsi que Demetrio Papadimitriu auraient perçu, pour leur part, quelques 20 millions de dollars alors que Jose Domingo Arias, candidat à la présidentielle de 2014 aurait touché 10 millions de dollars au titre de sa campagne électorale.

Ainsi, selon la procureure-en-chef, KeniaPorcell, 63 hauts responsables panaméens auraient reçu au moins 60 millions de dollars de pots-de-vin.

Enfin, si l’ancien président Martinelli est actuellement en détention aux Etats-Unis et dans l’attente de son extradition, les présidences de Martin Torrijos (2004-2009) et celle, actuelle, de Juan Carlos Varela sont visées par l’enquête autour du géant brésilien du BTP.

Au vu de tout ce qui précède, il semble donc que le dossier «Odebrecht» qui n’a pas encore dévoilé tout ce qu’il contient n’est pas prêt d’être clos et que de nombreux dirigeants politiques et hauts fonctionnaires d’Amérique Latine et d’ailleurs, non inquiétés pour l’heure, auront pendant longtemps encore bien du mal à fermer les yeux et à dormir du sommeil du juste…

Nabil El Bousaadi

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