Loi mémorielle sur la Shoah : La Pologne se rétracte

«Nous soutenons une expression historique libre et ouverte et la recherche sur tous les aspects de l’Holocauste afin qu’elle puisse être conduite sans aucune crainte d’obstacle juridique (…). Nous rejetons les actions visant à blâmer la Pologne ou la nation polonaise dans son ensemble pour les atrocités commises par les nazis (…). Malheureusement, la triste réalité est que certaines personnes (…) ont révélé leur côté le plus sombre à cette époque».

Ces propos relevant d’une déclaration commune entrant dans le cadre de l’apaisement et de la convergence des points de vue entre la Pologne et Israël ont été prononcés ce mercredi soir depuis Varsovie par le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki et depuis Tel Aviv par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.

Pour rappel, le 26 Janvier dernier, la Diète, chambre basse du Parlement polonais,  avait approuvé un projet de loi présenté par le parti de droite Droit et Justice (PiS) à l’effet de défendre la Nation polonaise contre les crimes commis sur son sol par l’occupant nazi durant la seconde guerre mondiale et d’interdire l’usage de l’expression «camp de la mort polonais».

Cette loi avait sérieusement irrité les dirigeants israéliens. Tel Aviv y  avait vu une tentative de nier la participation de certains polonais à l’extermination des juifs durant la deuxième guerre mondiale donc de les soustraire délibérément à toutes poursuites éventuelles « par les survivants de la Shoah». Face à cela, la Knesset avait alors adopté une loi punissant de cinq années d’emprisonnement toute personne qui réduirait ou nierait « le rôle de ceux qui ont aidé les nazis dans les crimes commis contre les juifs».

Très inquiets, de leur côté, des conséquences que cette loi pourrait avoir en donnant une vision déformée de l’Histoire, les Etats-Unis avaient adressé un sérieux avertissement à la Pologne lui demandant de  la «réexaminer à la lumière de ses possibles conséquences sur la liberté d’expression». Washington avait, également, mis en garde Varsovie sur d’éventuelles divisions entre alliés qui «ne profiteraient qu’aux rivaux».

Autant de raisons pour lesquelles, les deux premiers ministres israélien et polonais avaient convenu d’ouvrir des négociations à l’effet «de trouver un accord» sur cette  législation par l’entremise de laquelle la droite polonaise chercherait à réécrire l’histoire du pays selon «une vision mythifiée et romantique» dans laquelle le peuple polonais serait soit héros soit martyr.

C’est donc à l’initiative du Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki et dans le but de faire éclater «la vérité au sujet de la seconde guerre mondiale» que ce mercredi la proposition d’amendement de la fameuse loi sur la Shoah a été mise à l’ordre du jour de la Diète.

Ainsi, avec 388 voix pour, 25 contre et 5 abstentions, la Diète a supprimé, après un débat qui n’aura pas duré plus de deux heures,  les deux articles en vertu desquels il était possible d’emprisonner, pour une période pouvant atteindre trois années, toute personne qui évoquerait publiquement la «responsabilité ou la coresponsabilité» de l’Etat ou de la Nation polonaise dans les crimes perpétrés par l’armée nazie.

«Il est dommage qu’un projet de loi aussi important soit passé en urgence comme une commande politique au lieu de susciter un vrai débat» s’émeut Borys Budka, un député de la Plate-forme civique (PO, Centre-droit).

Des propos auxquels Jaroslaw Kaczynski, le chef de la majorité et véritable homme fort du pays rétorquera : «La Pologne comprend et a toujours compris la position de l’Etat d’Israël mais le pouvoir à Jérusalem comprend aussi que nous sommes mis de manière directe et injuste dans un même rang avec ceux que globalement, comme société ou comme Etat, nous avons combattu à la vie et à la mort…».

Force est de reconnaitre, toutefois, que la rapidité du vote montre bien que la Pologne a été soumise à une pression considérable de la part d’Israël mais aussi de la part de l’Union Européenne et des Etats-Unis. Le Département d’Etat américain avait même laissé entendre qu’aucun contact diplomatique de haut niveau ne pourrait avoir lieu entre Washington et Varsovie tant que la loi en question ne serait pas modifiée. C’est pour cela, d’ailleurs, que le président polonais Andrzej Duda n’avait pas été reçu à la Maison Blanche lors de la visite qu’il avait effectué aux Etats-Unis en mai dernier.

Ainsi, si le vote de ce mercredi va indéniablement adoucir les relations de Varsovie avec Israël, l’Union Européenne et les Etats-Unis, c’est dans l’enceinte même du Parlement polonais que les débats vont prendre une nouvelle tournure et que les rapports vont être très tendus maintenant que l’extrême-droite accuse la majorité au pouvoir d’avoir «rampé devant les milieux juifs». Quoiqu’il en soit, attendons pour voir…

Nabil El Bousaadi

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