Une voix singulière des sciences humaines et sociales s’en va …

Un homme de terrain discret. Un soldat  qui a consacré sa vie à la recherche, à la formation des générations de jeunes de l’institut agronomique. Najib Bouderbala, une figure emblématique et une voix singulière et puissante des sciences humaines et sociales, s’est éteinte le samedi 24 novembre 2018. Il avait 84 ans. Certes, il n’est pas mort, mais il a voyagé. Son regard généreux et sa vision profonde des choses seront portés par ses amis, ses étudiants… et les gens qu’ils avaient côtoyés de près.

15h30. L’entrée du cimetière européen, sa famille dont son épouse Monique et ses enfants, Iskandar, Sofia, Alain, ainsi  que ses amis, ses collègues, ses étudiants et d’autres personnalités du  milieu cultuel, intellectuel, universitaire et politique sont venues nombreuses, jeudi 29 novembre, pour un dernier hommage et adieu.

Il faisait beau ce jour-là. Un ciel bleu et un soleil clément. Une rose dans la main, des souvenirs et beaucoup d’amour et de reconnaissance ont accompagné le cortège funéraire du regretté. La dépouille a été enterrée jeudi 29 novembre au cimetière européen de la capitale, Rabat.  Une perte immense. Car, l’homme  a légué aux générations futures un héritage intellectuel important. Et pourtant, les grands comme lui d’ailleurs, ne meurent jamais.

Très attristée par son départ, Sofia Bouderbala, fille du défunt, témoigne : «Najib nous a laissé un regard généreux sur le monde, une façon d’essayer de le comprendre qui n’exclut personne, mais qui permettait à tout un chacun de trouver une place. Il y avait trois moteurs fondamentaux pour lui dont l’école, les droits des femmes et la jeunesse».

Fils de la montagne, Najib Bouderbala est un des meilleurs spécialistes du Maroc rural. Ami de Paul Pascon, figure emblématique de la sociologie marocaine, le défunt fut également  un homme de science, un éminent intellectuel magrébin pluriel et généreux  qui a tout donné à la recherche, aux autres. Il est enterré dans la terre marocaine, cette terre tolérante et plurielle… sa terre qu’il aimait tant. «Najib Bouderbala est mort alors même qu’il naissait, intellectuellement et scientifiquement, à une vie nouvelle».

Mohamed Nait Youssef

Témoignages :

Sofia Bouderbala, fille du défunt :

«Il nous a laissé un regard généreux sur le monde»

«Najib était d’abord un intellectuel magrébin. Il était laïc, il était arabe, il était tunisien, il était français, mais le Maroc était son pays, son  ancrage. C’est un pays qu’il a pensé. Il a formé des générations d’étudiants, il a toujours essayé de faire en sorte de progresser l’idée de l’Etat de droit…et c’était quelque chose de très important à ses enfants, ses étudiants et ses amis. Il nous a laissé un regard généreux sur le monde, une façon d’essayer de le comprendre qui n’exclut personne, mais qui permettait à tout un chacun de trouver une place. Il y avait trois moteurs fondamentaux pour lui dont l’école,  les droits des femmes et la jeunesse».

Moulay Ismaïl Alaoui, président du Conseil de la présidence du PPS et président de la Fondation Ali Yata :

«Un exemple du  chercheur désintéressé et une  bibliothèque ambulante»

«J’ai connu Najib il y a de cela près de quarante ans.  Je peux témoigner que  c’était un homme de bien. C’était un homme de science, un chercheur, mais toujours  motivé par le bien être des populations. Il n’étudiait pas les cadres pour le plaisir d’étudier  les cadres de vie, mais il étudiait les Hommes qui y  vivent  dans leurs rapports, dans leurs problèmes, dans leurs déceptions et aussi  dans leurs joies.

Najib restera pour moi un exemple du  chercheur désintéressé, totalement désintéressé, qui  non seulement connait  la compagne marocaine où il est  né d’ailleurs, mais les compagnes dans d’autres pays d’Afrique. Il a fait des missions de recherches et d’études dans les pays des grands lacs en Afrique équatoriale et dans d’autres pays. C’était  une bibliothèque ambulante… et on ne peut que regretter son départ».

Said Ouattar, professeur à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II :

«Il est parmi les premiers à comparer les politiques agraires…»

«Le défunt était un très grand savant ; peut être c’est l’un des premiers spécialistes en matière des institutions dans le monde rural. C’est lui  d’ailleurs  qui  a fait  des études très profondes avec l’équipe de Paul Pascon. Ils ont fait des études très fines.

Il est parmi les premiers à comparer les politiques agraires. D’ailleurs, il a fait un ouvrage très célèbre où il a comparé les politiques agraires des partis politiques (le PPS, l’USFP et l’Istiqlal). Il a contribué à former  beaucoup de jeunes de l’institut agronomique  qui sont  à-peu-près 14.000 ingénieurs. Ses contributions sont très importantes au niveau de la continuité dans le domaine du monde rural. Son départ est une véritable perte».

Mohamed Mdghal, médecin et ami du défunt :

«Un homme extraordinaire !»

«Je suis un ami, un voisin de Najib. Je n’étais pas dans la même profession que lui  parce que je suis médecin alors que le défunt  est un personnage qui  a joué un rôle important dans des disciplines qui  étaient relativement neuves, notamment en tant que juriste, spécialiste de l’aménagement du territoire notamment le territoire rural. C’était un des plus grands spécialistes du foncier rural  au Maroc. C’était  un des personnages clés parmi d’autres en la matière.  Il a travaillé avec Paul Pascon qui était très connu.  Il était  un enseignant très aimé à l’institut agronomique.

Je l’ai  connu sur le plan affectif parce qu’il était mon  voisin que je connais depuis longtemps. On marchait ensemble, on a déjeuné ensemble… c’était  un homme qui était extraordinaire parce que jusqu’à la fin  de sa vie il a toujours assumé sa maladie  et le rapport aux autres avec beaucoup  de disponibilité. C’est un homme où vous ne rentrouvrez  pas des choses négatives à dire. Et c’est rare».

Firdaoussi Mohamed Laarbi, ancien secrétaire général et directeur pédagogique à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II :

«Un soldat qui travaillait dans l’ombre»

«J’ai connu Najib Bouderbala quand je faisais un stage au projet Sebou. Lui,  il travaillait dans le cadre du développement du bassin de Sebou,  et ensuite je l’ai retrouvé au sein de l’institut Hassan II dans les années 71. Il était avec moi au département des sciences humaines de l’institut. C’est le soldat qui  travaillait dans l’ombre. Il est magrébin, tunisien et sa grand-mère de la région de Gharb. Il était parfaitement magrébin dans son esprit. Najib  est un homme honnête, très actif et dynamique. Un pédagogue et enseignant très compétent et un homme de terrain».

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