Loubaba Laalej: Comme au bonheur des temps premiers

Par: M’barek Housni*

En art, pour signer l’acte de présence au sein du monde, et exprimer le fond de ses sentiments, via la palette, on peut avoir recours à un registre ou plusieurs, pensés ou innés. Dans les deux cas, l’objectif est d’oser l’appropriation des choses, de réinventer l’existant pour en ressortir du vrai lié au paraître pris au prisme d’un regard inspiré par une fièvre intérieure dont les origines défient la réalité établie. Et Loubaba Laalej s’est doté bien de ce regard qui nous invite à un voyage multiple sous différents registres. Elle le possède tout en étant possédée par lui. Une possession qui coule de source, pour ainsi dire. Puisque libérée de la contrainte qu’imposent les canaux artistiques instaurés par l’académisme.

Il faut oser le mot, la singularité ici est loin d’être dans la différence, elle est lumineuse. Car très inventive et résultat d’un imaginaire enflammé et riche en éléments dont le côtoiement sur une toile bouleverse nos acquis tout en nous plongeant dans le beau, ce but recherché. Mais pas seulement.

Loubaba Laalej nous narre par là même des récits. Double but donc qui fait rehausser cette peinture à part. Des récits de rêves, de visions et de méditations à yeux ouverts et où l’esprit est tributaire de la main qui peint et crée.

Qu’il agisse de la phase des couleurs, de celle dominée par l’expérience du noir et blanc ou celle où est fonctionnalisée la lettre arabe calligraphiée, il y a une petite histoire concoctée par les outils de l’art plastique détenus par Loubaba Laalej. Elle échafaude un univers pictural qui raconte. Qu’y voit-on ? Des êtres, des plantes, des animaux et des humains, inscrits tous dans le domaine fuyant de la féerie, du fantastique et du merveilleux. En liaison avec le mythe, la religion ou la mémoire.

Avec toute la démesure requise, sans aucun égard à la dimension acquise et les normes suivies depuis des lustres. L’ensemble pris dans un canevas d’entrelacs de compositions et de couleurs, parfois épurés, mais la plupart du temps foisonnant. On voit bien que l’état du moment créatif dicte la  composition et les charges administrées afin de créer l’émotion souhaitée.

Et celle-ci est portée presque exclusivement par la figure de la femme qui demeure au centre de presque toutes les itoiles de l’artiste.  Cette présence bien originale. Objet de tous les désirs et sujet à toutes les spéculations. Chez l’artiste, elle est restituée au centre du monde, celui qu’elle a généré, puisque omniprésente dans l’idée du bonheur qui passe par elle. La plupart de toiles nous la montre dans une ambiance des débuts du monde, avant la connaissance par la perspective. Nue ou parée, debout ou allongée, entière ou en morceaux, elle porte le message de la liberté et de la sensualité, elle accompagne l’oiseau féerique et l’arbre, elle est le paradis et elle est le bonheur. Bonheur et paradis étant deux titres de deux des toiles les plus inspirées de Loubaba Laalej.

À les contempler, on sent l’onde joyeuse d’un état d’esprit qui a atteint un degré de transcendance fabuleux. Comme au contact de l’environnement maraboutique et des étalages des croyances populaires que certaines images de saints et de personnages historiques révélaient sans s’embrasser des représentations euclidiennes. C’est un mysticisme qui se donne à voir dans l’allégresse. L’artiste n’est pas hantée par un quelconque rêve souterrain, mais traversée par des visions disputées à  un onirisme de bon aloi.

Même dans la série monochromatique où la femme déploie une magie dépassant l’organique et accédant à la magie. Les lignes en cordages entrecroisés, et les formes sombres se référant à un univers d’ombres, dans les toiles non baptisées où domine le noir, la font ressortir comme par enchantement, avec l’expression des yeux étirés dans des visages longs. C’est une sorte de déplacement qu’affectionne l’artiste qui n’est pas prisonnière d’un lieu donné ou d’une temporalité précise.

Pour cela, il suffit de contempler les toiles qui trouvent leur ancrage dans le désert. Ce jaune éclatant où sont dispersés des êtres en harmonie avec leur entourage et vivant dans une verticalité saisissante. Cette même verticalité qu’on pourrait qualifier de signature de Loubaba Laalej. Ce qui n’exclut pas la présence de la profondeur. Car dans le brut capté par le pinceau, et investi comme moyen, tout se passe dans le choix judicieux et inspiré de la couleur. Et là le talent de l’artiste est indéniable.

Il y a toujours un fond d’une couleur frappant l’entendement premier sur lequel viennent se greffer les récits. Une vraie aventure qu’on suit devant l’emploi  du rose lumineux, du bleu des mers, du jaune saharien, du vert des jardins édéniques,  car ce qui pourrait advenir après n’est guère une garantie de l’accomplissement espéré. Or Loubaba Laalej s’en sort comme le ferait un poète visité par des mots destinés et qui ne trouve son repos qu’après avoir couché sur le papier son poème, abstraction faite de toute logique d’attente ou d’écoute attardant l’exécution de ce qui est dicté plutôt par une force intérieur.

Dans ce genre d’art spontané et jaillissant, l’artiste possède son « savoir », comme conditionné par le secret d’une formation dans l’individualité propre. Et il y a bien un attrait de la poésie véhiculée par l’expérience de la lettre et la couleur. Dans son utilisation de ces deux composants, l’artiste rejoint la vieille tradition de l’art islamique qui part de la calligraphie pour créer l’image. Là aussi, la femme et l’amour crient leur présence indéniable. Avec, comme pour tout, cette allégresse montrée par la gestualité de l’écriture colorée de surcroît. La lettre faite être et faite mouvement. Un figuratif détourné et redit d’une autre manière.

Loubaba Laalej dans sa spontanéité posée et référentielle, jongle inconsciemment avec plusieurs courants artistiques qui se donnent à sentir par de petits bouts, qui, au final culminent en un point qui relate l’histoire de l’instant premier, celui de l’homme comme celui de l’art.

*Écrivain et chroniqueur

*Exposition à Dar Souri,  Essaouira jusqu’au 20 octobre 2018

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