Seprob: Le maître d’œuvre du pont de Sidi Maârouf rompt avec sa discrétion

Annoncée et reportée à plusieurs reprises, la livraison du pont à haubans de Sidi Maârouf tarde toujours à se concrétiser. Le pont reste encore fermé à la circulation, même s’il devrait être livré incessamment. En revanche, ce projet a permis à Seprob de mener une véritable opération de communication sur plusieurs années ; notamment en 2018, chose surprenante pour une entreprise qui cultive une certaine discrétion et dont même le site web est en rade.

Rarement une entreprise de BTP aura autant monopolisé l’attention et les médias sur un de ses projets. Décrit et re-décrit dans ses moindres détails, le pont à haubans de Sidi Maârouf qui a servi de prétexte pour une communication abondante de la (finalement très peu) discrète Seprob ne cache plus aucun secret pour tous ceux qui s’y sont intéressés un peu. Toutes les étapes du projet ont été passées au peigne fin, avec tous les détails techniques (généralement non intéressants pour le grand public). Peu connue du public, a contrario d’autres mastodontes tels que SGTM ou TGCC, Seprob (Société d’Exploitation des Procédés de Boussiron) a profité de ce projet pour “marquer davantage son territoire“. D’autant plus que la morosité du secteur n’a épargné aucun acteur. Il faut dire que malgré les nombreux projets annoncés ici et là, les activités de BTP et ceux de Seprob évoluent comme le secteur, en dents de scie depuis quelques années. La faute aussi à des concurrents étrangers qui viennent partager le gâteau national avec les acteurs marocains. L’offensive turque sur les projets d’envergure du Royaume avait irrité les grandes entreprises de BTP marocaines, désolées d’avoir injustement disqualifiés de certains marchés. D’ailleurs, Seprob était aux avant-postes lors de la polémique sur le marché concernant la trémie Almohades attribué au turc Makyol. Un gros marché et un emplacement stratégique dont les entreprises marocaines ont été éliminées dès la 1ère phase de présélection. Seprob, qui était en groupement avec Copisa Maroc, envisageait même à l’époque de porter l’affaire devant les tribunaux. C’est dire la tension dans le secteur.

Presque 80 ans et toujours jeune

Pourtant, l’ex-filiale de la Société nord-africaine des entreprises Boussiron ne manque pas d’engagements et ses projets se comptent en grand nombre. Que ce soit pour les administrations, le ministère de l’équipement ou les grandes entreprises publiques, Seprob mène de nombreux projets au Maroc. Il faut dire que pendant longtemps, l’entreprise a préféré faire parler ses projets que communiquer sur elle-même. La famille Laraqui qui en détient la totalité des actions n’a jamais réellement chéri la communication ; elle lui a toujours préféré la discrétion. Discrétion poussée jusqu’à l’abandon du site web de l’entreprise. Seprob reste pourtant un des grands acteurs du secteur et l’un des plus anciens. Créée en 1940, Seprob est devenue une société de droit marocain en 1963. Après avoir connu plusieurs opérations de restructuration, elle atterrira en 1974 dans l’escarcelle de l’ex-SNI et de la SNCE (groupe Omar Laraqui) qui en prennent à l’époque 50% de ses actions. Le reste étant détenu par l’autre géant français des BTP Bouygues qui les cède en 1982. Dès lors, Seprob devient une entreprise entièrement marocaine et intègre le groupe Omar Laraqui, devenu entre-tempsMaropar, après que l’ex-SNI se soit débarrassée de ses participations dans l’entreprise de BTP.

Dans les bagages royaux

Depuis lors, Seprob a connu un développement important sous l’aile de Omar Laraqui. Dirigée actuellement par Younes Laraqui, Seprob a réussi à diversifier ses secteurs d’activité. Des ouvrages d’art et travaux autoroutiers, l’entreprise est passée au génie civil industriel avec de nombreux projets à elle confié par l’OCP, notamment à Safi pour la construction de hangars de stockage de phosphate. Puis, elle s’est intéressée aux barrages, ouvrages hydrauliques et travaux maritimes, stations de traitement d’eau (dessalement), travaux portuaires et bâtiments. Toutefois, et malgré quelques réalisations dans le secteur (bâtiment de Raffinity à Casablanca, 19 immeubles résidentiels à Youssoufia pour l’OCP, 37 villas à Marrakech pour Prestigia d’Addoha), Seprob a fait le choix de ne pas trop s’investir dans le bâtiment, secteur trop concurrentiel à son goût. Dans ses plans, Seprob n’a pas hésité à céder à l’aventure internationale. L’on se rappelle qu’en 2016, Seprob et son président Younes Laraqui faisaient partie de la délégation de patrons de grandes entreprises qui avaient accompagné le Roi lors de son voyage en Ethiopie. Si la moisson n’a pas été particulièrement bonne sur le Continent, la société est quand même engagée en Ethiopie pour la réalisation d’un centre de formation, après avoir déjà réalisé 15 réservoirs en Libye pour l’irrigation et l’abreuvement du bétail. Une revanche à prendre sans doute…

 Soumayya Douieb

Pont à haubans, pont à surcoût, pont à bientôt

Prévu pour bientôt, et reporté chaque fois à bientôt, le pont à haubans de Sidi Maârouf peine à s’ouvrir à la circulation depuis lors. En mars de l’année dernière déjà, Seprob annonçait la fin des travaux et la livraison du pont pour bientôt. Plusieurs mois plus tard, la même rengaine est dégainée pour calmer les impatients. En novembre, la communication autour du pont annonçait la fin imminente et la livraison. Puis en janvier 2019, il était question d’ultimes tests. Mais à l’heure où nous mettons sous presse, le pont reste encore fermé à la circulation. Une fin des travaux et une mise en service aux relents «d’une élection en Côte d’Ivoire» et qui ressemblent, bien fort à s’y méprendre, aux péripéties qui ont précédé le lancement de ce chantier. L’on se rappelle du match serré qui avait opposé, à ce sujet, le ministère de l’équipement et les autorités de la ville de Casablanca, notamment la Wilaya à partir de 2008. La Wilaya avait porté sa préférence sur un ouvrage d’art en surface composé de plusieurs ponts, tenant compte d’études ayant suggéré que la construction de trémies n’étaient point nécessaires. Le ministère quant à lui s’arc-boutait sur un ouvrage plus grand, un échangeur composé d’un pont à haubans et des trémies pour «mieux orienter le trafic». C’est cette dernière proposition qui sera finalement retenue.
Puis, ce fut le tour du manque de financement pour boucler le projet. Datant de l’époque de Sajid à la tête de la Mairie de Casablanca, le projet n’a finalement pu être lancé qu’en janvier 2016, prévu pour durer 32 mois, et une livraison en mai 2018. Le budget des travaux annoncé n’a pas, depuis lors, cessé de fluctuer au gré des communications. Pour ne pas dire qu’il n’a cessé d’exploser ses plafonds. Annoncé au départ de 316 ou 320 millions de dirhams (visiblement selon les humeurs), il prend entre temps de la vitesse et est marqué à 422 millions de dirhams en juillet 2017. Le budget se fera flasher, plus tard en août 2018, à 588 millions de dirhams. Avant de concurrencer Al Boraq sur la grande vitesse quand il se fait surprendre à 668 millions de dirhams en novembre 2018 dernier, réparti entre la Commune urbaine (380 millions), la Direction Générale des Collectivités Locales (185 millions) et le Ministère de l’Équipement (103 millions). De 320 millions, le coût des travaux a bondi de près de 109% et rien ne garantit qu’il s’arrête en si bon chemin. Malgré tout, le patron de Seprob Younes Laraqui estime qu’ils ont « respecté les délais contractuels, malgré quelques difficultés liées à la nature d’un projet d’une telle envergure».
Pour ce qui est des caractéristiques techniques, l’ouvrage est qualifié d’unique au monde du fait de son pylône central de 75 mètres au-dessus du sol incliné de 12 degrés par rapport à la verticale et comportant un cœur métallique recouvert de 2 voiles de béton armé. Le pont fait 224 mètres de longueur, 2X3 voies, tient 27 haubans et aura nécessité quelque 11.500 m3 de béton et 1.650 tonnes d’acier. Il devrait, in fine, permettre de désengorger ce point noir de la capitale économique, carrefour du quartier des affaires, qui voit passer aux heures de pointe, entre 11.000 et 17.000 véhicules par heure.

Chouchou des Administrations et EEP

Acteur présent sur le marché des BTP depuis des décennies, Seprob a plusieurs fois eu à conduire de nombreux chantiers, spécialement pour l’État et ses démembrements autant que les entreprises publiques. Administrations, Ministère de l’Équipement, ANP, ONCF, ONEE, OCP comptent parmi ses clients de référence. À en croire un confrère, Seprob est le maître d’œuvre de 90% des ponts construits au Maroc avant les années 1990. La société a élaboré tous les ponts enjambant l’autoroute urbaine de Casablanca, de même que la quasi-totalité des ouvrages se trouvant sur l’autoroute A1, reliant Rabat à Casablanca. «L’arrivée d’Autoroutes du Maroc (ADM) dans les années 1990 a changé la donne. À partir de là, les appels d’offres pour la réalisation de tronçons d’autoroute sont en lot unique», rappelle l’hebdomadaire. Plus concrètement, le manque de partitionnement des projets va obliger l’entreprise à recourir à des partenariats à même de lui donner la taille requise pour soumissionner en groupement. Si le pont à haubans de Sidi Maârouf est porté aux nues, il n’est pas le seul projet d’envergure mené par Seprob sur le territoire. L’entreprise a mené le projet de voie maritime de Zenata (ANP) de 4 km qui relie va relier le port de Casablanca à la zone logistique de Zenata et qui permettra de désengorger la circulation autour du port, pour un coût de 700 millions de dirhams, les ouvrages d’art dans le cadre du projet de la LGV entre Larache et Sidi Lyamani, l’édification d’une plateforme à la Marina de Casablanca, la plateforme et le génie civil des laveries de Khouribga pour le compte de l’OCP, la réalisation par encorbellements successifs du pont sur oued Oum Rbiaa à Machraa Ben Abbou, la réalisation du tablier par poussage du pont Selouane, les hangars de stockage de phosphate de Safi, le complexe OCP à JorfLasfar, les travaux de protection de la jetée de Moulay Youssef à Casablanca,…
Top