«Le Code du travail favorise l’informel dans le monde rural»

Propos recueillis par Khalid Darfaf

Al Bayane: vous dites que le Code du travail consacre la précarité de l’emploi, comment?

Mohamed Korri Youssoufi: Cela est vrai. J’invoque comme preuve les dispositions de l’article 16 du Code du travail qui dispose dans son premier paragraphe que la relation du travail lorsqu’elle est établie entre l’employeur et le salarié, elle doit être conclue pour une pour une durée indéterminée.

Le même article stipule que le contrat à durée déterminée ne pourrait être conclue que dans des situations précises, notamment en cas de l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ou si le travail a un caractère saisonnier. Cela étant, le contrat à durée indéterminée est le principe voire la règle générale. Cependant, force est de constater que ce   texte juridique contient une lacune majeure, car le législateur ne définit point ni «l’accoisement temporaire» ou encore «la saisonnalité».  Ce qui, d’ailleurs, laisse la porte ouverte à toutes les interprétations.

Et comme disait Nietzche, le diable se cache dans les détails. Une telle norme juridique condamne plusieurs travailleurs dans le monde rural car elle est synonyme de précarité. Autre point non moins important, l’article 86 du Code du travail, au lieu faire prévaloir l’emploi direct, permet la possibilité de recourir au contrat de sous-entreprise, par lequel l’employeur principal charge un sous- entrepreneur de l’exécution d’un certain travail ou de la prestation de certains services.  Grosso modo, le Code du travail fragilise les employeurs. Il suffit de citer que le ministère de l’emploi, censé de veiller sur le respect du Code du travail, fait appel à des travailleurs saisonniers notamment en matière de gardiennage de son siège principal.

Ce département ministériel fait appel à des sociétés qui font travailler des gardiens avec des contrats temporaires durant la moitié de la journée, soit 12 heures de travail sans interruption avec un salaire ne dépassant les 1500DH, sachant que le salaire minimum légal s’élève à plus de 2500DH. Ces travailleurs travaillent dans des conditions difficiles où on ne respecte ni la législation concernant le congé pays ou le repos hebdomadaire.

Qu’en-t-il des relations de travail dans le monde rural?

Le constat est lamentable.  Je vous donne l’exemple d’une entreprise qui s’active dans l’exploitation de l’olivier dont je ne vais pas citer le non, qui au lieu de faire embaucher directement des ouvriers pour la cueillette des olives, il fait appel à une entreprise qui utilise des machines. Résultat :  lorsque sous-faîtes vous-même la récolte, un kilo d’olive récolté vous coûte 1DH, alors si vous le faites dans le cas d’un travail de sous-œuvre, le Kilo coûte 0,10 centimes. Et souvent les grandes exploitations agricoles recourent à cette pratique pour des motifs raisons pécuniaires.

Selon-vous, quels sont les mécanismes générateurs qui contribuent à la consécration de l’emploi précaire dans le monde rural?

Dans le monde rural, se pose déjà la problématique de la qualification des ouvriers qui laisse amplement à désirer. A cela s’ajoute également le taux d’enseignement est tellement faible et inquiète à plus d’un titre. L’école est devenue une fabrique des salariés précaires qui deviennent la proie des caporaux et des marchands de la main-d’œuvre.  Autre facteur aggravant la situation, celui de la pauvreté qui poussent les gens à accepter n’importe quel travail.

Dans le monde rural, la relation de travail demeure inégale et qui s’inscrit parfaitement dans la logique : dominant/ dominé.   Cependant, et pour rester objectif, le besoin imminent de la main- d’œuvre dans les exploitations agricoles, la fiscalisation, la réglementation et les charges sociales sont tellement excessives que certains employeurs ne pourront pas faire face.

Il ne faut jamais oublier que 95% des exploitants agricoles marocains disposent de superficies à moins de 5ha. Ne demandez pas à ces gens là de déclarer les salariés et de payer le SMAG, car ils vivent eux aussi dans la précarité.

Dans votre intervention, vous dites que le travail informel est une nécessité impérieuse. Est-ce que cela ne constitue pas une certaine légitimation des rapports de travail régissant le monde rural?

En fait, la lutte contre l’informel doit être faite d’une manière progressive et ce dans le cadre dans une approche inclusive.  Les mesures hâtives pris dans l’immédiat ne pourraient qu’avoir des effets non-productifs (criminalité, prostitution, banditisme). Je dis que l’informel formel est pour l’heure une nécessité impérieuse en tant que ce secteur est porteur de travail mais ceci n’empêche pas que  l’Etat doit mettre les moyens possibles afin de pallier  à cette situation.

Comment l’Etat doit procéder pour lutter  contre l’informel?

La segmentation du secteur de l’informel requiert des réponses adaptées aux besoins spécifiques des travailleurs et unités Informelles.  A cela s’ajoute la mise en place d’une approche inclusive, visant à répondre aux besoins spécifiques des travailleurs informels dans le cadre d’une stratégie de formalisation progressive. Cette approche doit être renforcée autour de plusieurs axes : encourager la déclaration des emplois pour un accès à la protection sociale et autres avantages sociaux, mettre en place des mesures d’aide adaptées aux petits opérateurs et micro-entreprises, adoption des mesures qui encourage la déclaration aux impôts avec des incitations et avantages à la clé, sans omettre le renforcement des infrastructures socio-éducatives dans le monde rural. Il s’agit d’un impératif et d’un devoir de l’Etat avant que ce soit un devoir de l’employeur. Vous savez qu’un employeur ne fait que profiter des lacunes de la loi qui comporte certaines lacunes. On parle d’optimisation fiscale, je pense qu’il existe aussi une optimisation de la réglementation du travail qui profite à certains au détriment des autres.

Khalid Darfaf

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