Abderrahim Bourkia: «La lecture corps et âme…»

Dans cette série d’articles, professeurs universitaires et intellectuels de tous bords relatent leur relation avec l’univers de la lecture. Chacun, à travers son prisme, nous fait voyager dans le temps, pour nous montrer comment un livre a influencé sa trajectoire académique et même personnelle, en lui inspirant une vision du monde.

«La lecture est la voie d’émancipation intellectuelle. Elle constitue le seul moyen pour s’affranchir des idées douteuses ou fragiles», souligne le sociologue Abderrahim Bourkia au journal Al Bayane.

En fait, son premier contact avec le livre remonte à son plus jeune âge alors qu’il était encore élève à l’école primaire Driss Lahraizi située à Hay El Hassani. Son goût prononcé pour les lettres, il le doit, en premier lieu, à son entourage familial.

«J’ai vécu dans un milieu féru de littérature et d’expression musicale. Chacun de mes frères ainés possédait sa propre bibliothèque. Et la lecture des magazines et des journaux fut pour nous presqu’un rituel quotidien», confie Abderrahim Bourkia.

Pour l’anecdote, sa mère préférait l’appeler «Al Jahid», car son fils affichait un amour incommensurable pour la lecture et ne dormait jamais sans avoir un livre entre ses bras.

Cette relation d’amour va se creuser davantage à l’école où il va se replonger dans le monde des livres lors des cours de langue arabe dispensés par  «Si Mekhlouk» qui fut  son instituteur.  «Ce fut la découverte des grands écrivains de la littérature arabe mais également française, tels Taha Hussein, Najib Mahfoud,  Al Manfalouti ou encore Victor Hugo…», indique-t-il.

Après l’étape du primaire, la passion de la lecture va prendre de nouvelles dimensions.  Au collège Sidi El Khadir, l’initiation d’un projet de la bibliothèque par son instituteur, Mohamed Malil restera à jamais gravée dans sa mémoire. «La valorisation du livre traduit d’ailleurs un état d’esprit d’ouverture et illustre un degré élevé de conscientisation de l’importance du savoir dans le développement des sociétés», déclare-t-il en substance.

Au Lycée Ibn El Haytam, l’enfant de Derb Jamila va se convertir dans les études anglaises, tout en affichant un penchant pour la philosophie et la langue de Shakespeare.

«Ce fut la découverte d’un univers  à la fois mystérieux et attractif, surtout avec l’apprentissage de la philosophie et des grandes théories comme le Droit naturel ou le principe de la  logique chez Hegel…)», indique-t-il.  Et de poursuivre : «les séances d’anglais chez notre professeur Naima El Azadi constituait pour nous un grand moment d’épanouissement».

C’est dans ces circonstances-là que va se développer chez lui un engouement inédit pour les sciences sociales. Après l’obtention d’un master en droit international à la Faculté des sciences juridiques de Casablanca, le jeune chercheur va inscrire une thèse au Centre marocain des sciences sociales (CM2S) présidé par l’anthropologue Hassan Rachik. Le thème de son doctorat portait essentiellement sur le supporterisme comme acte de violence urbain dans l’espace urbain de la métropole.

Le chercheur, qui voulait décortiquer le phénomène des ultras à travers un prisme anthropologique, devrait passer inéluctablement par  l’école sociologique de Chicago, en l’occurrence les fondateurs comme Howard Becker, Erving Goffman pour lesquels il éprouvera une grande admiration, surtout pour leurs œuvres remarquables à savoir « Ecrire les sciences sociales», «Comment parler de la société», «La Mise en scène de la vie quotidienne»…

Une vision empathique

«Je suis amplement redevable aux contributions de ces auteurs. J’ai puisé en eux des outils pertinents qui m’ont été d’une grande utilité en tant qu’apprenti sociologue», dit-il.

Sur conseil de son co-directeur de thèse, Michel Peraldi, Abderrahim s’est trouvé obligé de se référer au livre du sociologue Loïc Wacquant intitulé  «Corps et âme : carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur».

«Son style d’écriture aussi simple que limpide ainsi que la finesse de la description basée sur l’observation participante,  vous plongent dans l’univers d’une pratique sportive où le corps est à la fois le siège, l’instrument et la cible, selon l’heureuse expression de l’auteur, et vous procurent des outils associés à une vision empathique», déclare notre interlocuteur.

En termes plus clairs, l’ouvrage qui relate la pratique de la boxe dans un ghetto de Chicago en inscrivant sa démarche dans une perspective à la fois micro et macro, tente de décortiquer aussi bien les relations sociales internes de ce champ sportif que l’éthos et l’habitus des pugilistes.

«Il faut dire que le livre m’a été d’une grande utilité lors de la préparation de ma thèse, surtout au niveau de l’enquête de terrain ou en ce qui concerne la déconstruction de l’univers des ultras qui est, entre autres,  un lieu d’expression d’une catégorie de la société plongée dans un profond désarroi et un véritable cadre d’une construction d’identité qui s’exprime chez les jeunes en quête de paraître et de reconnaissance…», conclut Abderrahim Bourkia.

Khalid Darfaf

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