El Khalfi: «Il y a une injustice au niveau de l’évaluation de l’action parlementaire»

Propos recueillis par Khalid Darfaf

Mustapha El Khalfi, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et la société civile, estime que la société civile est aujourd’hui une réalité apodictique. Selon notre interlocuteur, «le Maroc est dans une étape fondatrice prometteuse au regard des réformes politiques qui se poursuivent avec une cadence élevée».

Al Bayane: le Maroc a connu ces dernières années une prolifération des associations, cependant certains analystes considèrent que ces associations n’en portent  que le nom.  Partagez-vous ce constat et quelle évaluation faites-vous du processus de développement de la société civile au Maroc?

Mustapha El Khalfi: qu’on le veuille ou non, la société civile est aujourd’hui une réalité apodictique. Il faut dire, en toute objectivité,  qu’elle a  connu un progrès indéniable aussi bien au niveau quantitatif que qualitatif. La prolifération est d’ailleurs synonyme d’un certain dynamisme de la société marocaine avec toutes ses composantes. Il est à souligner que la Constitution 2011  a consacré plusieurs articles aux droits civiques, économiques, entre autres et a posé le jalon d’un nouvel espace public où les associations de la société civiles occupent une place de choix.  En fait, les deux tiers des associations dont regorge le Royaume ont vu le jour après l’adoption de la loi suprême du pays en 2011, soient 100 sur 160 mille associations.

Autre point non moins important, c’est que la Constitution a consacré le principe de la démocratie participative, comme un nouvel outil de mangement public. L’article 12 dispose que les associations intéressées à la chose publique contribuent, dans le cadre de la démocratie participative, à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des décisions et des projets des institutions élues et des pouvoirs publics et ce n’est pas tout.

La loi fondamentale a, en outre, reconnu aux citoyens et associations d’exercer le droit de pétition ou encore de  présenter des motions en matière législative…Qui plus est, elle a mis l’accent sur l’obligation de la mise en place, par les Conseils régionaux et autres Conseils de collectivités territoriales, des mécanismes participatifs de dialogue et de concertation dans le dessein d’impliquer les citoyens dans la gestion de la chose publique que ce  soit au niveau local, provincial ou régional.

Selon vous, quels sont les mécanismes générateurs de cette dynamique?

En fait, cette dynamique trouve son origine dans les années 90 après  l’entame du processus démocratique. Elle reflète une orientation politique de l’Etat et qui a été renforcée avec l’intronisation de SM le Roi Mohammed VI, en appelant  à un nouveau concept d’autorité ou encore le lancement de l’Initiative nationale du développement humain (INDH).

A cela s’ajoute la création de plusieurs instances nationales, telles l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH),   l’Instance équité et réconciliation (IER), la Haute autorité de la communication et de l’audiovisuel (HACA), le Conseil économique et social,  le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, le Conseil supérieur de l’éducation… soient7 instances. Il s’agit d’efforts considérables pour l’institutionnalisation de l’espace public durant la décennie qui a précédé la Constitution 2011. Cette dernière a, de surcroit, créée le Conseil national des langues et de la culture marocaine, le Conseil consultatif de la famille et de l’enfance, Conseil consultatif de la jeunesse et de l’action associative, l’autorité chargée de la parité et de la lutte contre toutes formes de discrimination, soient quatre instances. C’est un processus mûrement réfléchi ayant pour finalité plus de démocratisation et d’organisation des relations entre les instituions publiques et  les associations de la société civile.

Selon vous, la société civile est-elle  influente dans le processus décisionnel public?

Les associations de la société civile contribuent à la prise de la décision publique à travers des mécanismes mis en place par la Constitution notamment l’exercice de la pétition ou de la présentation des motions ou encore la contribution à l’élaboration des projets de développement local, provincial et régional.  A titre indicatif, la loi organique relative au Conseil régional dispose dans son article 116 que «les Conseils des régions mettent en place des mécanismes participatifs de dialogue et de concertation pour favoriser l’implication des citoyennes et citoyens, et des associations dans l’élaboration et le suivi des programmes de développement». Il est à souligner qu’il s’agit de mécanismes de participation directe et le véritable défi consiste à renforcer cette tendance.

Par exemple, dans le cadre le l’élaboration du plan  de développement territorial de la région Fès-Meknès, plus de 1000 propositions ont été émises par les associations lors des rencontres consultatives entre les deux parties et a été retenues par les décideurs de la région.

D’ailleurs, l’Etat est déterminé à impliquer les associations de la société civile dans l’élaboration et la mise en œuvre des programmes de développement à l’échelle nationale et ce  à travers des partenariats avancés. C’est une orientation irréversible, voire un choix stratégique. Autrement dit, l’Etat est plus que jamais conscient de la nécessité de la promotion de cet outil de gestion en inscrivant son action dans une démarche interactive pour la mise en œuvre des plans de développement à savoir le soutien de l’enseignement préscolaire, la solidarité sociale, l’appui de la scolarisation (700 Maisons estudiantines). La troisième phase de l’INDH a  consacré ce choix stratégique en concrétisant cette volonté collective, car le citoyen demeure  au cœur des programmes de développement. Aussi, il ne faut point omettre que  les instances nationales, telles le Conseil économique, social et environnemental et le conseil supérieur de l’éducation, et qui comportent parmi leurs ranges des représentants de la société civile,  dispensent un effort incommensurable en matière de propositions et d’évaluation des politiques  publiques.

Il est certes vrai  qu’on est encore au début mais on est dans une étape édificatrice prometteuse.

S’agissant de la subvention financière publique, régi par un cahier, des conventions et des appels d’offres,  l’Etat a mobilisé une enveloppe budgétaire s’élevant à 5, 1 milliard de DH rien qu’en 2017. Cela n’empêche qu’il existe quelques anicroches, mais certainement on est sur la bonne voie.

Quels sont les facteurs de blocage du développement de la société civile?

Aujourd’hui, il existe un engouement massif pour les associations de la société civile, notamment chez les jeunes.

Selon le dernier rapport du Conseil économique et social, 15% de la catégorie d’âge allant de 15 à 34 ans sont adhérés à des associations, soit 1,5 millions de jeunes. Cependant, le premier défi qui s’impose est celui lié à la formation et au renfoncement  des capacités. Autre indicateur significatif, c’est qu’il y a un grand enthousiasme pour l’action sociale chez la catégorie des retraités. Qui dit renforcement des capacités, dit appropriation des nouveaux outils managériaux, une parfaite  connaissance des lois liées à la société civile, connaissances des obligations et des devoirs. Malheureusement, il est fort de constater qu’il y a un manque de coopération et de communication entre les élus locaux et les représentants de la société civile, d’autant plus qu’une grande majorité des collectivités territoriales n’ont pas, jusqu’à ce jour, procédé à la création des instances consultatives. A cela s’ajoute en plus  un autre obstacle de taille, celui du déphasage entre le nouveau système juridique relatif à la démocratie participative et la loi régissant les associations. Je pense qu’il temps d’amender ce texte pour qu’il va de pair avec les dispositions de la Constitution et les engagements du Royaume à l’échelle internationale.

Vous évoquez la démocratie participative, mais ne pensez-vous pas qu’on a n’a pas encore gagné le défi de la démocratie représentative?

La théorie moderne de la démocratie est claire là-dessus. Elle ne fait point de distinction entre  la démocratie représentative et la démocratie participative, au contraire, les deux  se complètent sur plusieurs niveaux. Cela étant, la finalité de la mise en place de  la démocratie participative consiste à corriger les défaillances de la démocratie représentative en vue de garantir la démocratisation et  l’efficience de la décision publique.

Certains analystes estiment que le Parlement n’est qu’une «Chambre d’enregistrement» et que son rôle consiste à voter des lois émanant du gouvernement, partagez-vous cet avis?

Je pense que cela relève d’un jugement de valeur non fondé. Or, un constat objectif nous montre que l’institution parlementaire, en dépit des critiques, fait preuve d’un dynamisme remarquable. D’ailleurs, ils ont tort ceux qui considèrent que le rôle de cette institution consiste à subir. Loin de là, les parlementaires inscrivent leur action dans une démarche interactive,  en introduisant des amendements sur l’ensemble des projets de lois émis par le pouvoir exécutif et ce après des débats exhaustifs.

Ainsi, je fais allusion, à titre d’exemple, au projet de la loi de finances 2019, qui a subi d’importantes modifications. Je rappelle que durant le débat, plusieurs syndicats et associations de la société civile ont appelé à la suppression de la TVA sur les médicaments dont le prix dépasse les 580 DH.

Les Parlementaires  que ce soit à la Chambre des représentants ou à la Chambre des Conseillers se sont alliés à la cause des citoyens  en appelant le gouvernement à inscrire cette revendication sur son agenda. Idem en ce qui concerne les revenus fonciers. En fait, le projet de la loi des finances a fixé à 10% le montant des prélèvements des revenus fonciers qui ne dépassent pas les 120.000 par an. Cette mesure fiscale a été adoptée sur insistance des parlementaires. Le même constat pourrait s’appliquer sur la hausse de la TIC sur les boissons s gazeuses. D’ailleurs, les députés se sont campés sur leurs positions en refusant «tout retour en arrière».

Voulez-vous dire que le bilan législatif de l’institution parlementaire est positif?

Evidemment oui. Il ne faut pas omettre que conformément à l’article 70 de la Constitution, les élus de la nation sont aujourd’hui tenus à procéder au contrôle du travail gouvernemental  et de l’évaluation des politiques publiques. Il n’y aurait aucun sens de   dire que l’institution parlementaire est une «Chambre d’enregistrement», étant donné que les députés font un travail incommensurable pour mener à bien leur mission. D’ailleurs  le gouvernement a répondu à plus de 5000 questions écrites. Il s’agit d’un chiffre qui témoigne de l’implication des élus dans le contrôle de l’action gouvernementale.

N’estimez-vous pas que les luttes intestines aient terni l’image de l’institution parlementaire?

Les convergences et les différences font partie du bon fonctionnement de la démocratie. Et la finalité de la démocratie consiste dans la gestion des divergences. Cependant, il est, malheureusement, fort à constater,  qu’on se focalise souvent sur les conflits et les divergences au lieu de faire valoir les performances et le travail remarquable mené par les députés  aussi bien au niveau de la légifération qu’au niveau du contrôle de l’action du gouvernement.

 Certainement, la flambée des réseaux sociaux y est pour quelque chose.  Grosso modo, il y a une injustice en matière de l’évaluation de l’action des parlementaires. Il est vrai qu’on n’a pas atteint encore  le niveau escompté, mais il y a  une dynamique notoire qu’on ne peut point la nier.

Ne pensez-vous  pas que ce que l’on désigne par «processus de la transition démocratique» a pris beaucoup de temps?

La transition démocratique ou l’édification démocratique est un processus qui requiert beaucoup de temps. Le Maroc est sur la bonne voie étant donné qu’on a parcouru un long chemin dans ce sens. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau de bain, sinon ce serait un manque de discernement  politique. D’ailleurs, l’Etat est s’assigné comme objectif, à lutter contre toutes les pratiques de tortures et de séquestration, comme en témoigne les mesures concrètes prises en ce sens. Nous sommes dans une étape fondatrice prometteuse au regard des réformes politiques qui se poursuivent avec une cadence élevée. Toutefois, il y a plusieurs défis qui s’imposent avec acuité d’où la mise en place du plan d’action national en matière de démocratie et des droits de l’Homme ((PANDDH) qui contient des mesures concrètes et opérationnelles pour la consolidation de la démocratie.

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