Pourquoi Laprophan aurait-il cédé Promindus à l’émirati NBK?

Révélée ce mois par un mensuel marocain, la cession de Promindus, grossiste pharmaceutique et unité R&D des laboratoires Laprophan au fonds d’investissement émirati NBK Capital reste à confirmer. Toutefois, si une telle transaction se confirme, elle donnerait le signal d’un secteur marocain des médicaments qui peine à suivre la tendance mondiale. Et pourrait symboliser les difficultés du secteur.

Selon les informations rapportées par Economie & Entreprises, la vente de Promindus au fonds d’investissement émirati aurait rapporté aux laboratoires Laprophan et à la famille Bennis qui en est propriétaire, quelque 300 millions de dirhams. Ce qui équivaudrait à 4 fois son résultat net. En attendant une sortie officielle de l’une ou l’autre, sinon des deux parties, la vente de Promindus à ce fonds d’investissement devrait relancer le débat sur la santé du secteur pharmaceutique marocain. Et celle d’un de ses laboratoires phares Laprophan qui se séparerait ainsi d’une unité de recherche importante. Comment pourrait-on expliquer le fait de se délester de cette entreprise ? À croire certaines études sur le secteur, le marché marocain de la pharmaceutique a besoin de profondes mutations pour pouvoir coller au mouvement général mondial dans le secteur. En effet, ce secteur est caractérisé ces dernières années par de forts mouvements de concentration pour créer des géants mondiaux. Et parallèlement à ces concentrations, on observe sur ce marché un désengagement important des gros acteurs mondiaux des activités à faible valeur ajoutée. La cession de Promindus entrerait-elle dans une telle dynamique ? La question reste posée. Ou, une telle cession pourrait constituer le premier pas vers une cession complète de Laprophan ? La question peut paraître absurde, tant la perte de la marocanité de ce fleuron national n’effleure guère les esprits. Pourtant, ce secteur dont nombre d’observateurs appellent à des opérations de concentration pourrait ne pas avoir le choix que de céder à cette éventualité s’il veut continuer à être compétitif à long terme.

Un éparpillement nuisible

Avec une trentaine d’acteurs et un chiffre d’affaires global autour de 15 milliards de dirhams en 2017, le secteur marocain de la pharmaceutique reste émietté par rapport à sa taille. En comparaison, le marché algérien serait évalué à quelque 3 milliards d’euros, le marché turc à plus de 5 milliards d’euros ou encore le marché saoudien à 6 milliards d’euros. Conséquence de cet éparpillement nuisible au secteur, la concurrence est intense entre des acteurs de taille moyenne, voire petite si on les compare aux mastodontes mondiaux, dans un marché très limité ; ce qui entraine une forte pression sur les marges. Le tout, sans oublier la nouvelle réglementation des prix qui a davantage tiré les prix et les marges vers le bas. Malgré donc la position prééminente que détiennent les sociétés à capitaux marocains sur le secteur, en occupant les premières positions au classement des meilleurs chiffres, le secteur dans son ensemble à se développer et à atteindre un rythme de croisière.

Vers une concentration forcée ?

D’où la nécessité dans le secteur d’aller vers des regroupements. « Des acteurs de grandes tailles peuvent mieux négocier leur approvisionnement en principe actif de qualité, ou mieux encore, investir dans le lancement d’unités de production au Maroc sous forme de CMO (contractmanufacturing organisations). Ces CMO peuvent devenir des fournisseurs alternatifs à l’Inde et la Chine pour le marché africain voire même européen. Le Maroc dispose d’une offre importante de lauréats en chimie capables de contribuer à l’émergence d’une telle industrie chimique de production des principes actifs et excipients », expliquait l’année dernière Abdelatif Elouahabi, expert consultant en biopharmaceutique et propriété intellectuelle. Ce mouvement de consolidation est devenu nécessaire aux yeux de bon nombre d’acteurs du marché et d’observateurs afin de pallier à la pression sur les marges et de favoriser le développement de champion national capable de mettre en place une stratégie à l’échelle mondiale pour jouer dans la cour des grands et concurrencer les acteurs historiques du secteur. Sauf qu’au Maroc, la plupart de ces laboratoires pharmaceutiques sont des entreprises familiales. Lesquelles les fondateurs, voire souvent leurs successeurs, ont du mal à se séparer, héritage familial oblige. Verra-t-on des rapprochements intelligents entre familles dans ce secteur pour constituer des acteurs de tailles plus importantes ? Rien n’est moins sûr. Et si Laprophan donnait le top départ…

Qui est NBK Capital?

Le fonds d’investissement émirati NBK Capital est bien connu dans plusieurs pays du Moyen-Orient, notamment au Koweit, Dubai, Egypte et en Turquie. C’est le bras investisseur de la National Bank of Koweit, bien cotée dans la région. Avec un total d’actifs sous gestion dépassant les 10 milliards de dollars, NBK Capital est l’un des fonds d’investissement les plus en vue dans la région MENA. Créé en 2005, le fonds d’investissement gère sept fonds et réalise des placements dans des entreprises de taille moyenne au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Cette année, NBK Capital a effectué une neuvième opération dans le secteur de l’éducation en rachetant, à travers une entreprise consolidée dans son deuxième fonds d’investissement NBKC EP FUND II, l’établissement privé égyptien dénommé King Integrated American School (KIAS). La création de sa filiale NBK Capital Partners en 2015 a pousse le fonds koweitien à s’intéresser davantage au marché de l’éducation dans la région du MENA. Cet investissement en Egypte concrétise ses ambitions de se positionner comme un fonds très impliqué dans le domaine de l’éducation. L’établissement acquis en début de cette année est situe à Alexandrie, une ville qi compte à elle seule près d’un million d’élevés dont 20 % sont inscrits dans des établissements d’enseignements privés. NBK Capital aura investi, lors des 10 dernières années, dans 23 entreprises axées dans les secteurs de la consommation, de l’éducation et de la santé. Promindus sera-t-elle la prochaine à rejoindre le giron du koweitien ? Les prochains jours ou mois le diront. Mais si l’opération se confirme, elle constituera certainement le premier pas de ce fonds d’investissement au Maroc. Et nul doute que NBK Capital ne s’arrêtera pas en si bon chemin.

La filiale NBK Capital Partners était d’ailleurs en négociation avancée pour la reprise d’un fonds de crédit précédemment géré par le mourant Abraaj Capital Ltd., en chute libre depuis la révélation d’un certain nombre de malversations. Mais la filiale a préféré mettre un terme aux discussions après que le ministère public américain a décidé de lancer des poursuites criminelles contre plusieurs hauts dirigeants de l’entreprise pour avoir participé à un vaste plan international visant à frauder les investisseurs.

Secteur pharmaceutique : un business model à revoir

Dans une publication relayée par Huff Post Maghreb en février 2018, l’expert consultant en biopharmaceutique et propriété intellectuelle Abdelatif Elouahabi exposait les maux dont souffre le secteur pharmaceutique marocain. Parmi ceux-ci, un business model dépassé qui convient de revoir, changer si le secteur veut continuer à progresser. Ainsi, écrivait-il, « À la place d’une vraie stratégie de développement combinée à des études de marché préalables, les laboratoires se contentent d’une stratégie de pur opportunisme commercial. Cela se traduit par un nombre effrayant de produits différents mis sur le modeste marché marocain par chaque laboratoire local». Une stratégie qui a plusieurs conséquences selon cet expert. «D’abord, la démonstration de la qualité des génériques fabriqués par ces laboratoires devient économiquement infaisable. En effet, le coût de l’étude de bioéquivalence censé permettre cette démonstration pour chaque produit, dépasse rapidement le bénéfice que ces laboratoires peuvent réaliser sur le produit en question pendant de nombreuses années. Secundo, chacun de ces laboratoires négocie son approvisionnement en matière première et vu le modeste volume des commandes, ne peut généralement s’adresser qu’à de petits fabricants, indiens ou autres, et donc comportant des risques plus importants quant à la qualité. Enfin, le suivi décent de la sécurité (pharmacovigilance) de cette armada de produits devient tout simplement infaisable», analysait-il. La différence entre acteurs marocains et mondiaux se ferait à ce niveau, entre une stratégie basée sur le cumul opportuniste de petits montants et une stratégie qui repose sur une offre de produits pharmaceutique étudiée pour correspondre à des besoins, à l’échelle mondiale. Le problème du secteur ne serait donc pas la concurrence étrangère contre laquelle tous les acteurs marocains font feu de tout bois. «Les vrais maux de cette industrie viennent en premier lieu de son propre modèle d’affaires. Il est temps d’amorcer la transition vers un modèle moderne sous forme d’entreprises à capital ouvert cotées en bourse.

Des entreprises modernes évolueraient vers une stratégie basée sur les besoins en santé d’abord, stratégie qui devrait être soutenue par une culture d’investissement substantiel tant en recherche qu’en développement. Ces investissements en R&D devraient rendre les laboratoires indépendants au moins au niveau du développement de procédés de fabrication, surtout pour les nouvelles molécules dont les brevets viendront bientôt à échéance», avance Abdelatif Elouahabi.

Soumayya Douieb

Related posts

Top