Saïd Haji, l’artiste de la résurrection de l’être

Par : M’barek Housni*

Essaouira se prête merveilleusement aux mots suggestifs, aux toiles évocatrices de l’être et ses combats avec lui-même et avec l’autre. Ces combats pour le meilleur qui surgit du pire, mais via la création, seule rempart protecteur de la vie contre le déni du vivant.Quand Essaouira accueille le livre d’un écrivain et artiste comme Saïd Haji, dont l’art est lié à sa propre vie, elle en donne une belle preuve. Il s’agit d’une expérience de vie qui est motif, sujet et matière de son art.

Le livre qui porte ce titre oh combien évocateur qu’est «Le phénix», on saisit d’emblée la signification et la portée d’une telle dénomination : résurrection, départ toujours relancé, reprise des pouvoirs de  la vie sur les intentions de l’effacement et de l’anéantissement. En effet, ce livre est un récit bien romancé sur ce qu’a vécu son personnage central, un irréductible et un des derniers idéalistes, pour faire triompher les idées de justice en tout au sein d’une administration, c’est-à-dire une collectivité qui n’est que miroir (en plus petit) de la société marocaine à une certaine époque. Cette époque dite de plomb.

Un miroir stendhalien aussi fidèle que sincère, criant de vérité surtout à l’échelle individuelle. Comme matrice qui en est le concepteur et la victime. On suit et le héros et l’écrivain, dans des pérégrinations tumultueuses et particulières, intimes et déclarées, et on suit en même tempsun cas collectif sociétal dominé par le politique au sens large du mot, qui regroupe et les dominateurs et les dominés au temps des luttes idéologiques avec des conceptions contradictoires des projets de société,  où militants et pouvoir affrontaient disons frontalement.

Tous portés par le corps du héros et s’y reflétant avec toutes les vérités qu’on peut imaginer, toutes les conséquences possibles dont l’utilisation l’ultime que sont les sévices. Surtout morales, autrement dit celles qui demeurent enfouies, sans s’effacer, et qui refont surface au moindre contact avec un détail qui leur est attaché,  au détour d’un mot, d’une vision, d’un sentiment qui surgit.

Et c’est ce que font les livres et les tableaux justement de Said Haji. Ils les captent au vol etils ne font que donner matière et support à tout cela comme autant de morceaux de prouesses artistiques. Toute l’œuvre écrite et picturale de Said Haji l’incarne. Ils sont des témoignages et des bribes de vie liées à la réalité réelle autant qu’elles sont des créations pures et conférant un plaisir visuel certain. L’écrivain artiste sait réussir ce passage obligé, cette mue indispensable, qui va du réel au créatif.

Les pages du livre l’attestent clairement, ce livre paru au début en arabe, comme l’un des premiers romans à pourvoir crier une vérité teintée d’une politique étatique qui dérangeait, à oser s’attaquer à un sujet brûlant de point de vue personnelle en relation avec ensembles constitués. Et dont on peut lire cette version en français bien rendue.

Ce même esprit de témoignages et de création, Saïd Haji en a fait et en fait toujours le constat à travers une expérience plastique riche et singulière. Elle est axée sur l’univers carcéral et plus largement sur l’univers de la solitude de l’homme des temps modernes qui s’essaie au refus de diktats et de la «normalité» mensongère. On a écrit à ce sujet ce qui suit: «Les œuvres de Said Haji peuvent être sujet à une lecture, chacune à part. Car ils forcent l’homme à s’engager, du fait qu’ils contiennent l’élément du «récit» plastique franc et choquant, qui monte fort. C’est une œuvre d’une portée rarement vue, un moment d’art exceptionnel». C’est une œuvre qui porte justement le titre de «Mémoire du Phénix»…

On est là face à une expérience individuelle d’envergure humaine. Qu’elle soit saluée

Institut français Essaouira, 29 novembre 2019, 18 h.

*Écrivain et chroniqueur d’art

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