L’identité nationale, «une et indivisible» dans «sa plénitude et sa diversité»

Débat sur le rôle de l’acteur politique et la diversité culturelle au siège du PPS

Quoique tout le monde s’accorde à dire qu’elle constitue un facteur de santé et d’enrichissement, la diversité culturelle et linguistique au Maroc serait à la croisée des  chemins, a indiqué la chercheuse en droits humains Fatima Zahra Maâ El Ainine, à l’ouverture d’une rencontre de réflexion, organisée jeudi soir au siège national du Parti du progrès et du socialisme à Rabat, sous le thème : «rôle de l’acteur politique dans la protection de la diversité culturelle et linguistique au Maroc». Après sa consécration au niveau de la Constitution de 2011 en tant que facteur d’enrichissement et de renforcement des chances du pays de réussir dans la stabilité sa transition et son projet, dans un environnement régional et international très agité et changeant, cette diversité semble à présent piétiner. Elle trébuche sur des obstacles dressés par les uns et combattus par d’autres, des obstacles qui renseignent sur la division des acteurs politiques sur la question, d’après la modératrice. Et pourtant la Constitution de 2011, votée à l’unanimité, est claire.

Son article 5 stipule :

«L’arabe demeure la langue officielle de l’État.

L’Etat œuvre à la protection et au développement de la langue arabe, ainsi qu’à la promotion de son utilisation.

De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l’État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception.

Une loi organique définit le processus de mise en œuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle.

L’Etat œuvre à la préservation du Hassani, en tant que partie intégrante de l’identité culturelle marocaine unie, ainsi qu’à la protection des expressions culturelles et des parlers pratiqués au Maroc. De même, il veille à la cohérence de la politique linguistique et culturelle nationale et à l’apprentissage et la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde, en tant qu’outils de communication, d’intégration et d’interaction avec la société du savoir, et d’ouverture sur les différentes cultures et sur les civilisations contemporaines.

Il est créé un Conseil national des langues et de la culture marocaine, chargé notamment de la protection et du développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines, qui constituent un patrimoine authentique et une source d’inspiration contemporaine. Il regroupe l’ensemble des institutions concernées par ces domaines. Une loi organique en détermine les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement».

Nabil Benabdallah : La surenchère stérile risque de faire trainer d’importants projets à l’infini

Prenant la parole, le Secrétaire général du PPS, Mohamed Nabil Benabdallah,  a souligné l’importance de ce débat, qui s’inscrit dans le cadre de l’ouverture du parti aux différentes  sensibilités, aux intellectuels, chercheurs et experts.

Après avoir mis en exergue l’importance du sujet, il a indiqué que le traitement de la question de la diversité culturelle et linguistique et de tout l’arsenal juridique qu’elle requiert continue malheureusement de faire l’objet de surenchères inadmissibles, qui font encore perdre beaucoup de temps au pays en l’empêchant d’avancer plus rapidement sur le dossier.

Et pourtant personne ne conteste que le pays a la chance de disposer, comme prévu dans la Constitution, d’une «identité nationale une et indivisible» dans «sa plénitude et sa diversité», laquelle unité  «forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen» (préambule de la Constitution).

Ce qui n’était toujours pas le cas. La question culturelle avait de tout temps été traitée de manière folklorique (Ahidouss pour l’Amazigh, Guedra pour le Hassanuia). Personne n’en parlait, à l’exception toutefois de quelques organisations et intellectuels éclairés dont le Parti du progrès et du socialisme, qui subissait des attaques de tout genre quand il évoquait aussi d’autres questions ayant trait notamment à la promotion de la femme, à l’égalité homme-femme et autres.

Il y a plus de 50 ans, le PCM avait édité le livre blanc (sa couverture blanche) appelant à la promotion de la femme et à l’égalité homme-femme.

C’est le cas aussi de la question amazighe, dont les défenseurs ont intensifié leur action qui ont duré de longues années, avant que le discours royal d’Ajdir et la Constitution de 2011 ne viennent souligner la nécessité de rendre justice à cette composante fondamentale de la culture marocaine, qu’est l’Amazighité, langue et culture.

«De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l’État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception» (article 5 de la Constitution).

Mais depuis lors, neuf ans se sont déjà écoulé sans que les textes nécessaires à la mise en œuvre de cette disposition constitutionnelle ne soient adoptés et effectivement appliqués.

L’adoption des lois organiques sur le Conseil national des langues et de la culture marocaine et l’officialisation de la langue amazighe a mis à nu les divergences entre les composantes de la majorité, qui cherchent surtout à tirer profit d’une telle ou telle situation, sans tenir compte du sort de l’Amazighité. Ces composantes sont tombées dans une série de surenchères qui font perdre beaucoup de temps à un projet aussi important que celui de la mise en œuvre de tout le projet relatif à l’apprentissage de la langue amazighe, à sa promotion et à son développement au même titre que les autres composantes de l’identité marocaine que sont le Hassanyia et les affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen.

Il est vrai que le projet requiert pour sa réussite l’existence de partis politiques forts et engagés, des organisations suffisamment armées pour en défendre les objectifs et les finalités. Mais il est vrai aussi que ces partis politiques doivent le faire sans tomber dans la surenchère facile qui risque de faire trainer le projet à l’infini.

Personne ne peut nier les difficultés de tout genre que le projet relatif à la mise en œuvre de l’amazigh en tant que langue nationale va connaitre, mais personne ne peut nier aussi que le pays a tout à gagner à travers la réussite d’un tel projet.

Revenant sur le débat qu’avait suscité avant son adoption la loi cadre sur l’enseignement, il a indiqué que d’aucuns soutenaient que seule la langue arabe doit être la langue d’enseignement, à l’exclusion des autres langues amazighe et française surtout. D’autres n’étaient que pour les langues étrangères.

En réduisant le débat à la langue d’enseignement, les deux parties ont tout simplement fait fi des dispositions de la Constitution de 2011, selon laquelle la langue amazighe est une langue nationale à coté de la langue arabe, qui est également langue nationale.

Pour le PPS, les choses sont claires. Il ne peut y avoir de développement sans mise en valeur de tous les facteurs économiques et non économiques  dont fait partie la culture.

En présentant récemment son mémorandum à la Commission spéciale sur le modèle de développement, le PPS a rappelé que le modèle alternatif escompté doit tenir compte du facteur «Homme avec sa culture», doit assurer au pays une croissance économique rapide et soutenue, se fonder sur une bonne gouvernance en rompant avec la rente, la malversation et la corruption, tenir compte des facteurs non économiques et culturels et promouvoir la démocratie pour son portage.

C’est à travers la mobilisation des citoyens par leur culture, dont ils doivent être fiers, qu’il sera possible de les motiver et de les impliquer dans l’œuvre du développement du pays, a-t-il martelé.

C’est en les faisant participer et en les associant tels qu’ils sont, tout en valorisant leur culture amazigh, hassanie, arabe, juive ou autre qu’il sera possible de gagner leur confiance et de les réconcilier avec la chose publique, a-t-il ajouté.

Il est en effet temps de rétablir et de restaurer la confiance des citoyens de tous bords dans les institutions du pays dont les partis politiques, a-t-il dit, rappelant que le PPS ne cesse d’appeler pour ce faire, depuis son dernier congrès national, à insuffler un souffle démocratique nouveau pour s’en sortir.

C’est le meilleur moyen possible pour dépasser la situation d’étouffement et de tension qui prévaut à tous les niveaux du fait notamment de la perte de confiance dans l’acteur politique et économique de la part des citoyens, des jeunes et des habitants de régions entières (Rif, Jerada, etc.).

En exposant son point de vue à la Commission spéciale sur le modèle de développement, le PPS a insisté sur la nécessité d’instaurer d’abord un climat de détente politique propice dans le but de parvenir à la réconciliation et à rétablir la confiance, a-t-il ajouté.

Il est en effet nécessaire de mettre fin à tous les facteurs d’étouffement et tension en traitant autrement les revendications sociales dans le Rif et ailleurs, les nouvelles expressions sur les réseaux sociaux et en optant pour de meilleurs rapports avec la presse et les journalistes.

Ceci étant, il est également temps de réhabiliter les acteurs politiques et les partis politiques pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle d’encadrement des citoyens et de portage de leurs doléances et revendications, a-t-il estimé.

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Ahmed Assid : Le modèle jacobin de l’Etat-nation au Maroc est obsolète

Traitant de la place et du rôle de la culture dans l’œuvre de développement du pays, le chercheur Ahmed Assid a indiqué que l’on est plutôt en présence d’une crise d’Etat au Maroc où le modèle jacobin de l’Etat-nation en vigueur depuis l’indépendance du pays n’est plus en mesure de répondre aux besoins croissants du pays et des populations.

Le modèle de l’Etat-nation classique en vigueur dans le pays répondait surtout aux exigences du mouvement nationaliste, qui s’est développé depuis le dahir berbère de 1930 avant l’indépendance du pays en 1956.

Depuis lors, seule la langue arabe était la langue officielle et d’enseignement, alors que la majorité de la population était amazighophone. Cette population ne savait ni lire ni écrire. Malgré cela la langue et la culture amazighes ont survécu à ce processus d’arabisation, en dépit du fait que leur transmission n’est assurée que par voie orale.

C’est un miracle, selon un sociologue.

L’amazighe a perdu durant cette histoire presque les 2/3 de sa population, a-t-il dit. Selon lui, l’arabisation prônée au lendemain de l’indépendance par les courants nationalistes dont les militants sont pour la plupart des lauréats de l’université Al Karaouiyne a porté un coup dur à l’Amazigh, culture et langue.

Après le discours d’Ajdir et la Constitution de 2011, le pays est en passe de se doter d’un modèle de développement plus démocratique, plus respectueux des droits humains, bien que l’on continue d’être fidèle au modèle jacobin de l’Etat-nation (Abdellah Laroui, récemment), alors que ce modèle en vigueur en France est en crise, a-t-il dit.

En privant le Maroc de l’apprentissage de la langue amazighe et de la culture amazighe, patrimoine commun de tous les Marocains, le modèle en place fait perdre également au pays des atouts indéniables pour développer ses capacités cognitives et de communication non seulement à l’intérieur du pays mais également avec son environnement africain et méditerranéen, a-t-il estimé.

Pour accompagner les mutations en cours, les partis politiques se doivent de rénover leur idéologie et se mettre au diapason ce que le pays est en train de réaliser en matière de promotion de ses langues et de ses cultures dans leur diversité, a-t-il suggéré.

Ce qui est valable pour la culture amazighe, l’est aussi pour la dimension juive marocaine, qui continue malheureusement d’être traitée comme étant un produit importé d’Israël, alors qu’il s’agit d’un patrimoine commun de tous les Marocains, a-t-il ajouté.

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Rahal Boubrik: La récupération du Sahara marocain doit bénéficier aussi à la culture hassanie

En rejetant le Dahir berbère de 1930 par «Allatif», les nationalistes marocains, avec à leur tête Allal Fassi et d’autres militants, avaient donné à leur projet une dimension fondamentaliste, fondée sur l’islam et l’arabité tout en excluant tout autre référentiel idéologique, a indiqué l’anthropologue Rahal Boubrik.

Seule l’Arabe classique, la langue savante figurait dans le projet. L’islam classique fondé sur le Livre et la Sunna en constituait le référentiel. Toutes les autres expressions étaient taxées d’hérésie et d’être au service du colonisateur.

Après l’indépendance du pays, l’on s’est vite orienté vers une uniformisation des pratiques de la religion et une centralisation de tout à Rabat (la culture savante, la langue, la religion, la politique). Après l’indépendance, l’on s’est donc trouvé avec un Etat-nation déjà en place.

Tous les partis politiques nationalistes s’en inspiraient pour confectionner leurs programmes en se fondant sur cette vision unilatérale, en dehors de laquelle rien n’est permis.

Toutes les élites formées dans l’uniformité n’admettaient guère le populaire ou la diversité, à laquelle personne ne croyait.

Aucun parti politique n’y pensait. Seule une vision est admise. Tout ce qui vient du peuple et de cette diversité des pratiques religieuses représentait pour eux une menace de cette unité.

Pour le Hassaniya, il s’agit d’un dialecte arabe parlé au Sahara marocain, qui s’étend sur une aire géographique très vaste. Il constitue la langue maternelle d’une population vivant de Oued Noun au Sud du Maroc au fleuve du Sénégal au Sud de la Mauritanie. Il s’étend jusqu’au Tchad en passant par le sud de l’Algérie et le Nord du Mali. Il est même susceptible de servir de plate-forme de communication pour le Maroc qui a retrouvé et est en train de consolider sa position économique en Afrique.

La Constitution de 2011 l’a érigé en tant que l’une des composantes de l’identité nationale à protéger et à promouvoir.

C’est peut être là le meilleur moyen de réussir aussi bien la proposition marocaine d’autonomie que le projet de la régionalisation avancée en cours dans les provinces du sud, selon lui.

La récupération du Sahara marocain ne doit pas se limiter au territoire, elle doit aussi bénéficier aux habitants, à leurs cultures et à leur langue dans leur diversité et expressions (Gensi, Arabes des tribus Maakilia et Hilalia, berbères, Zenata, beni Maakil etc…).

L’être humain est un être culturel avant tout.

Après donc cette avancée de la Constitution marocaine de 2011, les partis politiques, dont le PPS, se doivent de s’impliquer davantage pour ne pas laisser le front polisario avoir à tord le monopole sur le dossier de la culture Hassanyia. Ils doivent en tenir compte dans leurs programmes car il y va de la démocratie dans le pays.

Si les Almoravides avaient réussi à unifier le pays au 11ème siècle, la régionalisation avancée au Sahara marocain est susceptible de jouer un rôle phare dans la promotion et la mise en œuvre de la diversité culturelle et de la régionalisation dans tout le pays, a-t-il estimé, soulignant que la diversité ne peut qu’enrichir et conforter davantage l’identité nationale. Et ce sans réduire la culture Hassanyia à des scènes folkloriques, à la Guedra et à la tente (Kheyma).

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