Le «tribunal médiatique» sur la voie de devenir l’ersatz de la Justice

Le phénomène est en train de pendre de plus en plus de l’ampleur. Certains médias, surfant sur la vague du sensationnel et du passionnel, primant l’audimat et le buzz sur la véracité de l’information, marchent sur la voie de se substituer à la justice.

Le plus navrant dans ce constat est qu’une personne se trouve d’emblée condamnée par le «tribunal médiatique» sur le simple fait d’être mise sur la sellette par une tierce partie dans les médias. La personne est ainsi accusée et condamnée avant même d’être mise en examen et renvoyée devant une juridiction compétente.

De plus, dans la plupart des cas, dans le «tribunal médiatique», les termes d’«accusé» et de «prévenu» deviennent synonymes, alors que dans le vocabulaire juridique, les prévenus sont les personnes poursuivies pour une contravention ou un délit, tandis qu’un accusé est soupçonné d’avoir commis un crime.

Dans le même sillage, le plaignant est qualifié de «victime» alors que la justice ne l’a pas encore reconnu comme telle. Sur cette pente, les déclarations du plaignant sont sacralisées par le traitement médiatique qui ne laisse d’ailleurs aucune place au «principe du contradictoire», malmenant, du coup, la présomption d’innocence.

En esquivant ce «principe du contradictoire», principe fondamental de la procédure civile, pénale et administrative, certains traitements médiatiques versent dans l’émotionnel, appuyant l’approche par des témoignages d’affection, alors que la Justice fonctionne sur le principe de la raison, qui est plus rassurante pour trancher et rendre la justice. D’ailleurs, le «principe du contradictoire» est consacré comme un principe général du droit et l’une des principales traductions concrètes de la notion de procès équitable. Ce traitement médiatique est encore aggravé par la publication des photos des personnes et de leur nom et prénom sans aucune protection de leur vie privée.

Ce qui est d’ailleurs strictement interdit par le code de la presse et de l’édition notamment par ses articles 72, 76, 77, 78… La charte de déontologie, établie par le conseil national de la presse (CNP), et qui se veut un mode opératoire axé sur l’autorégulation de la profession, interdit clairement ces comportements attentatoires à la vie privée des personnes, à la liberté et à la justice. En fait, les dispositions de cette charte interdisent clairement la violation de la vie privée des personnes. La seule exception prévue concerne les cas où des aspects de la vie privée sont directement liés à une affaire d’intérêt public. Le traitement des affaires en examen devant la justice est également encadré par cette charte, qui insiste sur l’obligation du respect de la présomption d’innocence.

Bref, la charte consacre le principe de tenir la véracité comme plier de l’action journalistique. A ce propos, les médias sont appelés à être vigilants avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent. Autant dire que ces pratiques de déballer tout et n’importe comment sur les réseaux sociaux, mettant tous les sujets dans le même panier, selon une approche passionnelle et sensationnelle, battent en brèche l’éthique journalistique, violent les lois en vigueur avant de violer la vie privée des personnes.

Belkassem Amenzou

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CNP : la violation de la vie privée des personnes est interdite

La charte de déontologie, établie par le Conseil national de la presse, bannit clairement toutes les pratiques journalistiques qui portaient atteinte à la vie privée des personnes.

Cette charte, qui met en place une série de principes à respecter, interdit en effet clairement la violation de la vie privée des personnes. De même, le traitement médiatique réservé aux affaires en examen devant la justice est également encadré par la nouvelle charte, qui insiste sur l’obligation du respect de la présomption d’innocence.

A ce propos, le deuxième chapitre du document du conseil national de la presse aborde la responsabilité vis-à-vis de la société en traitant du respect de la dignité humaine, le rejet de la discrimination et de l’incitation à la haine, le respect de la vie privée, le droit à l’image, l’atteinte à l’honneur et à la dignité, la présomption d’innocence, le respect de l’image de la femme, le droit de réponse. En fait, le CNP insiste dans le préambule de cette charte de déontologie sur le fait qu’il s’agit d’un «outil juridique contraignant pour la consécration des règles du comportement professionnel».

En matière de désinformation, la charte du CNP rappelle les règles élémentaires de la pratique du journalisme, notamment l’interdiction de publication d’informations dont la véracité n’est pas prouvée ou qui ne sont pas appuyées par des preuves. La diffusion de fausses informations ou le truquage de photos ou de vidéos sont considérés comme une flagrante violation des dispositions de cette charte. Ce document impose également aux professionnels de distinguer clairement entre l’information et leurs propres commentaires. Rappelons que cette Charte de déontologie de la profession de journalisme est composée d’un préambule et de quatre chapitres. Le premier chapitre, intitulé «Responsabilité professionnelle», détermine la responsabilité qui incombe aux journalistes dans le traitement de l’information, la recherche de la vérité, le rejet des fausses informations ou la déformation des données, la liberté d’opinion…

Un deuxième chapitre aborde la responsabilité vis-à-vis de la société en traitant du respect de la dignité humaine, le rejet de la discrimination et de l’incitation à la haine, le respect de la vie privée, le droit à l’image, l’atteinte à l’honneur et à la dignité, la présomption d’innocence, le respect de l’image de la femme, le droit de réponse… Le troisième chapitre insiste sur l’indépendance du journaliste et sa probité et détermine la nature des relations qu’il doit avoir avec sa source, la distance à prendre avec la publicité et les intérêts personnels… Un dernier chapitre évoque la question de la protection et les droits du journaliste à l’occasion de l’exercice de sa profession.

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Me Laamrani: des pratiques nuisibles au journalisme et à la justice

Les traitements réservés par certains médias à des affaires, qui sont en cours d’examen devant la justice ou même pas encore instruites par elle, portent préjudice à la profession journalistique, à ses principes, à sa déontologie, à son éthique et à la notion de l’information dans un contexte démocratique, souligne Me Abdellatif Laâmrani, avocat aux barreaux de Casablanca, de Paris et de Montréal.

Et partant, a-t-il fait remarquer, le mal est fait aux circuits de la justice, à son indépendance et aux justiciables. Le plus grave, a-t-il martelé, est la violation du secret professionnel, qui est un délit dans le code pénal. Ainsi, des documents, qui devraient restés dans la confidentialité la plus totale dans le circuit de la justice, se trouvent publiés et maladroitement commentés sur les réseaux sociaux avant même le démarrage du procès.

Ce qui bafoue les droits de la défense. De même, a-t-il ajouté, parfois le secret de l’instruction, qui est fondamental dans la procédure pénale ou civile, est également violé. Ce qui nuit à l’institution judiciaire. Et d’ajouter que les égarements de certains médias n’ont pas épargné le secret des délibérations, alors que toutes les lois protègent avec la plus grande rigueur le secret du délibéré. Ce qui touche le fondement juridique du principe d’impartialité dans le droit au procès équitable garanti par la loi fondamentale.

C’est dire que certains dérapages ont des répercussions sur toute l’institution, a-t-il dit, sachant que le juge statue selon son intime conviction sur la base des documents dont il dispose. Dans ce système de l’intime conviction, le juge apprécie librement les preuves produites devant lui.

Dans ce sillage, poursuit Me Laamrani, le droit de réserve est également violé par certaines pratiques médiatiques. S’ajoutent à ces flagrantes violations, l’atteinte à la dignité des personnes, les injures et la diffamation ainsi que la publication de leur nom, de leur prénom et de leurs photos. Il faut soulever aussi, a-t-il dit, le phénomène qui a commencé à prendre de l’ampleur à savoir la critique des décisions rendues par la justice. Ce qui est vigoureusement condamnable, a-t-il conclu.

Propos recueillis par B.A

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