Au quotidien !

Par: Mustapha Labraimi

Quelque part dans notre beau pays, une salle d’accueil pour payer des redevances. À l’entrée, une machine pour délivrer des tickets sous l’œil d’un vigile faisant office de personne à l’accueil ; au fond, six guichets avec écran d’appel sont prévus et entre les deux, des bancs pour une trentaine de personnes environ.

La salle est plus que comble sans parler des personnes qui montent à l’étage. Des femmes et quelques hommes d’un certain âge attendent patiemment leur tour. Le bourdonnement issu des discussions de bouche à oreille est tel que seul le timbre annonçant l’appel rompt cette uniformité. La température de la salle dépasse celle de l’air à l’extérieur et le confinement ne gène personne malgré les éternuements et les toussotements. Honni soit qui mal y pense avec tous ces virus qui se répandent à travers la planète menaçant pandémie.

Sur les six guichets, seuls deux fonctionnent. Les autres ne sont pas pourvus de personnel. Le temps est déterminé par le traitement de l’opération requise. Impossible de savoir combien cela va durer entre les occupations smartphoniques du préposé, le nombre de redevances traitées à la suite (solidarité du voisinage oblige) et les discussions collatérales. Rien ne sert d’être pressé ou de croire que le temps est compté ; et dans le contexte, tout se passe dans la normalité, Alors dans l’attente et à défaut de pouvoir faire la causette, les relations sociales virtuelles permettent de s’occuper.

C’est le moment de lire cet article d’un économiste qui traite du surendettement dans lequel s’engouffre notre beau pays. La dette publique nationale sera bientôt de 1000 milliards de dirhams et les augures d’un probable ajustement structurel ne rappellent rien de bon : une peur profonde et quelques lueurs d’espoir ! A la lecture de la sentence de l’éminent spécialiste par laquelle il affirme que l’on serait «en présence d’une banqueroute de l’Etat qui ne dit pas son nom», le regard se porte sur l’assistance en attente de payer ses redevances.

Pauvres de nous; s’ils savaient qu’en plus de cette redevance que certains peinent à payer, chacun d’eux, serait redevable de «cinq cent quarante six mille cent vingt rials» à payer dans la solidarité nationale… à vous empêcher de mourir tranquille ! A toute fin utile, dans cette splendide région de notre beau pays, vingt rials valent un dirham.

Honni soit qui mal y pense à toutes ces privatisations qui n’ont servies finalement à rien ; au désengagement de l’Etat qui se continue, à ce capital privé faible et parasitaire, au fardeau lourd de la dette et de sa charge, au fléau de la fraude fiscale, aux déclarations de circonstance de nos gouvernants, de ceux du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale qui viendront se régaler bientôt sous les palmiers de Marrakech.

S’étant acquitté des redevances mensuelles, on se retrouve sur l’avenue principale où «entre un café et un autre café se trouve un café». Clientèle masculine d’adultes désœuvrés, pour la grande majorité, en attente de l’heure d’aller «frapper une gamelle» de faire la sieste et de revenir. L’espace public est jonché de commerces à la sauvette dont les tenants s’occupent beaucoup plus à jouer aux dames. Le temps s’écoule sans se créer des migraines à réfléchir sur le travail de la Commission Spéciale pour le Modèle de Développement, sur les dispositions électorales qui régiront les prochaines échéances ou sur la pandémie probable qui s’annonce. La jeunesse scolaire anime le boulevard par son mouvement brownien et le code de la route est respecté autant que cela peut se faire.

Les travaux de réaménagement de la principale avenue perdurent et la cohue l’emporte sur la circulation; cela permet à la polémique de gonfler dans les réseaux sociaux. Une autre manière de faire de la politique émerge. L’intelligence artificielle domine la vie au quotidien dont les esclaves se trouvent encore plus asservis sans qu’ils en prennent conscience.

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