Le rôle futur de la société civile en tant que force créatrice de valeurs et d’emplois!

Par Beniaich Mohamed

Dans son article, Industrialisation et souveraineté économique, Si Abdeslam Seddiki aémis plusieurs propositions profondément analysées et synthétisées en un certain nombre de mesures viables et atteignables, nécessitant une forte volonté politique pour leur concrétisation, en tant que fondateur local de Friends Of The Earth, je voudrais toutefois attirer également l’attention des décideurs et intellectuels sur un sujet qui me paraît tout à fait pertinent ,cohérent, conséquent, quoique méconnu et regardé d’un mauvais œil par certains économistes et décideurs politiques; c’est celui des organisations de la société civile (OSC) créatrices de valeurs et d’emplois.

Un secteur qui conjugue «efficacité économique et utilité sociale» et combine «le sens de l’intérêt général, la performance et l’efficacité de la sphère économique avec la mobilisation et l’innovation des citoyens». D’où la nécessité pour toutes les parties concernéesde faire des efforts soutenus et continusdans l’optiquede faire sortir de l’ombre l’étendue dynamique et prometteuse de ce secteur dans notre pays afin qu’il puisse constituer unenouvelle clé de voûte de l’agenda communautaire en matière de développementet valorisation de notre capital social embourbé dans les relations conflictuelles interminables et les pratiques rétrogrades qui nous consument vainement beaucoup d’énergie, de temps et d’argent  etjouer à plein son rôleen tant queenjeu fondamental dans la création d’emploisdans les années à venir, carle paysage de la société civile a considérablement évolué au fil du temps et que le concept est passé de plates-formes associatives à un large éventail de groupes organisés et organiques de différentes formes, fonctions et tailles dont le modèle dynamique:

a) a des objectifs sociaux, environnementaux et/ou culturels; b) négocie sur des marchés concurrentiels, construit de «nouvelles alliances» avec des entreprises classiques, mutualise les moyens en regroupant les structures pour moins de concurrence, plus de coopération; et c) réinvestit les bénéfices au profit de la communauté. Qui plus est, les organisations destinées principalement à poursuivre un impact social, qui est également financièrement viable savent justement «créer de l’emploi là où l’État , les collectivités et le secteur privé  ne savent plus le faire seuls : dans les territoires fragiles comme les zones rurales, les quartiers sensibles, les bassins en reconversion; mais aussi pour des personnes en situation de vulnérabilité sociale, psychique et physique que l’entreprise «classique», porteuse d’une vision réduite de la rentabilité, ne sait pas intégrer et employer».

Ainsi, et selon le rapport de 2017 réalisé par le Johns Hopkins Center on Civil Society Studies, le secteur de la société civile mondiale s’est aujourd’hui développé en un effectif mondial de 350 millions de professionnels et de bénévoles, «dépassant les principales industries par l’ampleur de sa main-d’œuvre et par sa contribution à la vie sociale et économique. Autrement dit, si la main-d’œuvre de la société civile mondiale était un pays, ce serait le troisième pays le plus peuplé du monde après la Chine et l’Inde».

Au Maroc, bien que nombreuses actions entreprises par les organisations de la société civile aient permis l’obtention de résultats manifestement positifs, ils échouent à forger les territoires marocains à la faveur d’un développement local et régional inclusif, durable et équitable. L’action civile pourrait gagner en efficacité si les projets authentiquement et localement élaborés étaient plus créateurs de valeurs et d’emplois, que ce soit dans leurs objectifs ou leur mise en œuvre,mais force est de constater qu’en l’absence de professionnalisme, de vision stratégique, de transparence et la domination de l’opportunisme, favoritisme et du clientélisme, la plupart des projets sont élaborés avec des mécanismes fragmentés, inefficaces et défaillants. Les organisations de la société civile dépensent plusieurs milliards dans des projets, qui s’avèrent avec des valeurs moins tangibles à cause d’une mauvaise affectation et globalement d’une mauvaise gouvernance et du manque d’une vision cohérente et durable et un aperçu d’ensemble claire et partagé.

Devant cet état de choses, on se doit de procéder graduellement à la réorganisation et la restructuration des organisations de la société civile pour leur donner une impulsion nouvelle qui appelle à un changement de paradigme fondamental et qualitatif qui touche le cœur même du modèle de fonctionnement d’une OSC. Comme l’a dit un expert, «la transformation d’une entreprise à but non lucratif ne peut pas être «du vieux vin dans une nouvelle bouteille» : son rôle, son environnement, sa stratégie et sa pensée se doivent d’être repensés et remodelés également pour permettre à une OSC de se transformer en un véritable entreprenariat social porteur des notions de prise de risque, de création de valeur, d’une meilleure orientation vers le marché et d’efficacité des ressources.

Repensons et redéfinissons les concepts et les notions des OSC :

Jezard soutient que la nature de la société civile, ce qu’elle est et ce qu’elle fait est en train d’évoluer en réponse à la fois aux développements technologiques et aux changements nuancés au sein des sociétés. Les définitions changeantes de la société civile, les rôles et les environnements opérationnels de la société civile sont également en train de changer.

Lorsqu’on l’interrogea sur la définition d’une entreprise sociale, Atul Tandon, directeur exécutif du réseau international de Centraide dans le monde, répondit comme suit : « Je travaille d’arrache-pied pour conceptualiser et articuler la définition, car à mon avis, chaque organisme sans but lucratif est une entreprise sociale. Il s’agit, en fait, d’une étiquette fiscale … toutes ces organisations de la société civile ou entreprises sociales se concentrent sur la construction du bien social, du bien commun. Ce pourrait être à but lucratif, ce pourrait être à but non lucratif, ce pourrait être une coopérative. «Cette définition large couvre tous les types d’organisations à but social et nous permet de définir l’organisation à vocation sociale dans un nouveau sens comme une «Une organisation destinée principalement à poursuivre un impact social, qui est également financièrement viable» ou, comme le dit Bis (2011): «organisations dont les objectifs sont principalement sociaux et dont les excédents sont principalement réinvestis à cette fin dans l’entreprise ou dans la communauté».

Dans son livre, Creating a World WithoutPoverty Social Business and the Future of Capitalism,  Muhammad Yunus écrit :  «Mais le business social et l’entrepreneuriat social ne sont pas la même chose. L’entrepreneuriat social est une idée très large. Comme il est généralement défini, toute initiative innovante pour aider les gens peut être décrite comme entrepreneuriat social. L’initiative peut être économique ou non économique, à but lucratif ou non lucratif. La distribution gratuite de médicaments aux malades peut être un exemple d’entrepreneuriat social. Il en va de même pour la mise en place d’un centre de santé à but lucratif dans un village où il n’y a pas de structure sanitaire. Et il en va de même pour le lancement d’une entreprise sociale».

Dans tous les pays industrialisés, on constate un développement remarquable des initiatives socioéconomiques, travaillant entre le secteur privé à but lucratif et le secteur public, qui font partie du «troisième secteur».  Dans ce contexte en mutation, nous voyons émerger, au sein de l’économie sociale, une nouvelle forme d’entreprise poursuivant des objectifs sociaux financièrement viables. Aujourd’hui, le Royaume-Uni abrite 70 000 entreprises sociales qui emploient un million de personnes et contribuent chaque année à l’économie 24 milliards de livres sterling. Ces entreprises sociales créent des emplois tout comme les entreprises traditionnelles, mais développent également des solutions innovantes et financièrement viables pour résoudre des problèmes et des défis sociaux bien établis tels que le sans-abrisme, les soins aux personnes âgées et le chômage.

Dans leur article «La pression pour que les organisations de la société civile deviennent des entreprises sociales», Muhammad Fazal Noor et Shadab Fariduddin écrivent: «une OSC doit penser en termes de création de plus de valeur avec les ressources disponibles. Sa réflexion doit passer d’une demande accrue de ressources, notamment financières (dépendance des donateurs) à la création de valeur à partir des ressources existantes afin de résoudre un défi social. Lorsque les OSC restent tributaires des dons, la plupart de leurs groupes desservis jouent le rôle de «bénéficiaires» au lieu de «créateurs de valeur», c’est-à-dire des producteurs ou des prestataires de services qui créent eux-aussi également une valeur réelle dans la société.

La culture des OSC dépendantes des donateurs suinte généralement le gaspillage, des investissements de faible qualité et la mauvaise gestion des ressources. Un tel arrangement, en réduisant les alternatives meilleures, étoufferait le changement et pourrait nuire au progrès et entraverait ainsi les moyens mêmes par lesquels nous pouvons fournir des services encore meilleurs que ce que nous pouvons imaginer actuellement.

Le but d’une CSO engagée à créer de la valeur est d’offrir une vaste marge de manœuvre dans laquelle l’initiative humaine, l’énergie et la créativité peuvent apporter des améliorations qui affinent et remodèlent positivement et de manière constructive les qualités «morales, intellectuelles et actives» des personnes.

-Orientation stratégique : La stratégie des OSC est dirigée par les bailleurs de fonds : ils ont tendance à faire tout ce qu’un donateur veut plutôt que de se tailler une marque de service qui répond à un besoin social bien défini.

Saul Garlick, qui a réussi à transformer des organisations à but non lucratif en activités lucratives, indique que la stratégie des organisations à but non lucratif reste inefficace en raison d’une «… boucle de rétroaction rompue » qui ne permet pas de détecter et d’analyser les anomalies et de préserver la réputation et la délivrabilité grâce à des actions correctrices.

Cette transformation est valorisante et édifiante : les services s’améliorent par l’expérimentation, ce qui provoque de nouvelles idées qui peuvent être émulées si elles sont admirées, ou rejetées si elles ne sont pas appréciées. Des citoyens ambitieux, autonomes et participants émergeront en s’impliquant dans les activités bénéfiques de la société civile et en partageant ses idéaux. Ils seront dotés d’un esprit créatif, compétent vaillant et entreprenant.

Dans leur formation et valorisation du capital social, les OSC peuvent faire de ce parcours évolutif une transformation personnelle instructive et importante irréfutable et éprouvée.Les documents de Forestiers Societiesle démontrent clairement:

Dans vos relations domestiques, nous cherchons à vous trouver, si un mari, affectueux et confiant ; si vous êtes père, respectueux du bien-être moral et matériel de vos enfants et personnes à charge; comme un fils, dévoué et exemplaire, et comme un ami, ferme et vrai.

Dans le Grand United Order of Oddfellows, le nouveau membre a été encouragé à faire du moment de joindre ce parcours non seulement comme un temps d’autocritique, mais aussi une occasion pour le remodelage même de son caractère: «il est souhaité que vous fassiez de l’événement de votre Initiation un temps pour un auto-examen strict; et si vous trouvez quelque chose à modifier dans votre vie passée, je vous charge solennellement de vous acquitter de ce devoir sans délai, – que vous ne reteniez aucune pratique immorale, action oiseuse ou poursuite basse et vulgaire».

Même la charité dans Friends Societiesa une signification motivante, active et constructive :

«… en étendant notre charité, nous devons nous efforcer de distinguer les personnes vraiment méritantes, pour ceux qui recherchent volontairement et professionnellement la charité d’autrui, perdent tout respect de soi et, en se contentant d’y vivre, sacrifient la dignité personnelle. Dans ces cas, il nous appartiendra de veiller à ce que l’amour de l’indépendance se réveille, car il est le fondement de toute vertu et de tout honneur».

Le capital social , ainsi, devient productif, permettant d’atteindre certains objectifs qui associent les réseaux sociaux aux valeurs positives et unifiées de la société, à sa stabilité continue et équilibrée , à l’approfondissement des valeurs démocratiques et modernistes, à la solidarité valorisante et active, à l’intégration sociale harmonieuse et progressive. Les normes et les relations sociales enracinées dans les structures sociales de notre société renforcent et pérennisent le sentiment d’appartenance rempli d’inspiration et de fierté, la confiance mutuelle, les normes productrices de valeur élevées et les réseaux qui peuvent améliorer l’efficacité de la société en facilitant les actions coordonnées.

Deuxième partie :

Comment devrions-nous habiliter et renforcer les institutions de la société civile pour contribuer à une croissance stable et durable et pour devenir une source d’emplois comme le secteur marchand d’ici le milieu du siècle?

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