Espagne: le calvaire que vivent nos touristes

Karim Ben Amar

Pour cause de pandémie mondiale liée au nouveau coronavirus, le Maroc a annoncé entre le vendredi 13 et le samedi 14 mars, la suspension des liaisons maritimes et aériennes avec les pays d’Europe. Cette décision responsable et néanmoins courageuse s’est inscrite dans la lutte contre le Covid-19, virus ayant contaminé quelque 4,13 millions de personnes et fait plus de 283.000 victimes à travers le monde à ce jour. Les touristes marocains, par milliers, à l’instar de toutes les nationalités, se sont retrouvés bloqués dans des pays étrangers pour cause de fermeture des frontières. Contactés par l’équipe d’Al Bayane, des touristes marocains retenus en Espagne se livrent sans détour. Où sont-ils logés? Comment sont-ils nourris ? Sont-ils soutenus ? Le corps consulaire joue-t-il son rôle dans l’accompagnement de nos concitoyens ? Tour d’horizon.

Dès les prémices de l’expansion du nouveau coronavirus, le Maroc a privilégié la sécurité sanitaire de ses citoyens. Entre le vendredi 13 et 14 mars, toutes les liaisons maritimes et aériennes avec les pays d’Europe et de l’État Schengen ont été suspendues jusqu’à nouvel ordre. Ainsi, la première responsabilité d’un pays, à savoir protéger l’intégrité sanitaire des citoyens a été remplie avec brio.

Mais qu’en est-il de nos 18.226 touristes marocains bloqués aux quatre coins du monde? Cette fois-ci, l’équipe d’Al Bayane a contacté des touristes marocains bloqués en Espagne qui sont près de 1700,  pour s’enquérir de leur situation, de leur condition de vie, ainsi que de leur santé.

Les ressortissants marocains pâtissent réellement de la situation mondiale actuelle. Actuellement dans tous les recoins de l’Espagne, nos touristes vivent un véritable calvaire. À cet effet, l’équipe d’Al Bayane a contacté Youssef, un père de famille bloqué à Malaga. « À l’unisson, nous avons tous salué la décision responsable du Maroc, qui consiste à fermer ses frontières. Nous avons cru que notre situation précaire allait durer pas plus de deux où trois semaines. Or, il se trouve que nous sommes bloqués ici depuis le mois de mars».

Concernant les moyens mis en place par notre consulat, Youssef nous fait part d’un constat amer. « Le consul du Maroc à Algesiras a essayé de loger les ressortissants marocains bloqués dans la Costa del Sol et en Andalousie, mais beaucoup sont livrés à eux-mêmes. Pour ma part, je loge chez un espagnol qui m’a offert le gîte généreusement. Il est vrai que parfois je sens qu’il est un peu dérangé, mais je n’ai nulle part où aller».

Quant aux personnes atteintes de maladies, notre interlocuteur nous a confirmé que le consulat soutient ces personnes comme il peut : «une dame dans un état critique, cardiaque et hypertendue, a reçu des soins de la part de la Croix Rouge, et cela grâce au consulat du Maroc à Algésiras, mais notre représentation dans cette ville portuaire ne peut pas secourir tous les marocains bloqués en Andalousie», affirme-t-il.

La souffrance commence à se faire ressentir du côté de nos ressortissants, Youssef atteste que  «la plupart de nos ressortissants bloqués en Espagne ont laissé leurs enfants, leurs familles. Le pire, c’est que ces gens ne demandent rien, à part pouvoir rentrer chez eux. Ils ne veulent ni aide, ni argent, ni logement, mais seulement regagner la Mère Patrie. C’est une demande légitime». Et d’ajouter, «nous préférons être en quarantaine dans notre pays plutôt que de rester dans un pays qui n’est pas le nôtre . Il y a 20 jours, j’ai perdu ma sœur qui est tout juste âgée de 27 ans. Elle a laissé un bébé de 10 mois. Je n’ai même pas pu lui dire adieu», a-t-il déclaré, l’air dévasté.

Le consulat du Maroc à Algésiras a logé de nombreux touristes bloqués soit dans des hôtels, soit dans des appartements. « Les marocains se trouvant à Algésiras sont les mieux lotis. Ils bénéficient de chambres individuelles dans des hôtels de la ville. Par contre, ceux qui sont bloqués dans la Costa del Sol, habitent à plusieurs dans un même appartement loué par le consulat. Plusieurs familles se retrouvent à partager un petit appartement, bravant ainsi toutes les mesures de sécurité sanitaire, tonne-t-il.

Le consulat d’Algésiras aide aussi matériellement nos ressortissants pour qu’ils puissent se nourrir. «Je reçois une aide de 50 euros tous les jeudis . Cet argent est versé sur le compte de mon bienfaiteur depuis trois semaines maintenant», assure-t-il.

«Nous sommes peut-être dans une situation délicate, mais figurez-vous que nous ne sommes pas les plus à plaindre. Les marocains bloqués à Madrid, Valence ou Barcelone vivent l’enfer», conclut-il.

Les quelques 1700 marocains se trouvant en Espagne malgré eux traversent une période chaotique. Aucune région n’est épargnée, tous vivent un réel calvaire. En Catalogne, c’est la catastrophe. Nos ressortissants sont dos au mur. Avec un soutien à peine visible, ils sont pour la plupart livrés à eux-mêmes.

Al Bayane a d’ailleurs contacté une jeune entrepreneure qui a préféré gardée l’anonymat. En déplacement professionnel à Barcelone, elle s’est retrouvée bloquer dans la capitale catalane.

«je me suis déplacée à Barcelone pour former des jeunes entrepreneurs. La formation devait durer 5 jours, soit du 8 au 12 mars. Mon billet retour était prévu le 14 mars, date de la fermeture des frontières», déclare-t-elle.

En ce qui concerne le logement et l’aide du consulat du Maroc à Barcelone,  la jeune entrepreneure nous affirme que «du 8 au 17 mars, j’étais à l’hôtel, entre temps, on m’a recommandé de prendre contact avec le consulat. Je me suis dirigée vers notre représentation le 15 mars. Ils m’ont hébergé en chambre single du 17 au 25 mars, dans deux hôtels différents, en compagnie d’autres concitoyens bloqués. Le deuxième hôtel a fermé ses portes le 25 mars. Or, nous avions avisé notre consulat 3 ou 4 jours à l’avance de cette fermeture».

Par la suite le consulat a opté pour la location d’appartement pour héberger nos ressortissants. «Le jour J, soit le 25, ils sont venus nous chercher pour nous placer dans des appartements. Nous avons tous adhéré à cette solution louable, sans pour autant avoir des détails sur les conditions d’hébergement. Chacun de nous a reçu une adresse à laquelle il devait se rendre».

Or, il se trouve qu’en temps de pandémie, dans l’un des pays les plus touchés de la planète, la solution du consulat est de loger plusieurs personnes dans une même demeure, soit l’opposé des mesures de sécurité sanitaire. « À ma grande surprise, la solution qui nous a été proposée était un appartement de 50 m2 à partager entre 5 à 6 personnes. De plus le logis manquait clairement de propreté et d’aération, sans parler de l’irrespect des règles de confinement», soutient-elle.

Face à cela, la jeune marocaine n’avait d’autre choix que de se prendre en charge. «Je loue à présent un studio. J’y suis installé depuis le 1 er avril».

«Aussi, depuis que j’ai pris la décision de me prendre en charge puisque le consulat n’a pas assuré ma sécurité sanitaire,  je n’ai reçu aucune aide de la part de nos services consulaires» conclut-elle.

Dans le préside occupé de Sebta, ce n’est pas la joie non plus. Des centaines de nos ressortissants sont entassés dans des espèces de gymnase, défiant toute mesure de sécurité.

Chrif Bakkali, un marocain originaire de la ville de Fnideq s’est retrouvé bloqué dans le préside occupé. Contacté par Al Bayane, il nous détaille le quotidien de nos concitoyens.

Les autorités marocaines ne font absolument rien pour nous venir en aide. Toutes les personnes bloquées ici, sont livrées à elles-mêmes».

La solidarité marocaine joue un rôle déterminant puisque ce sont les marocains du quartier «Principe» qui prennent en charge beaucoup de nos ressortissants. «La nourriture les couvertures sont généreusement offertes par nos compatriotes installés dans le préside occupé».

«Il est à noter que dans le gymnase, il y a présence d’enfants et de femmes. La nourriture laisse à désirer. Aussi pendant le Ramadan, on a droit à un seul repas qui est distribué par la Croix Rouge», affirme-t-il.

«Pendant ce temps, aucun officiel marocain ne s’est intéressé à notre état de santé ou de notre moral. En quelque sorte, nous avons le sentiment d’être jetés en pâture. Les espagnols nous traitrent très mal et nos responsables nous ignorent. Voilà le sentiment des marocains bloqués à Sebta», a-t-il conclu l’air désappointé.

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