Leurres divers

Par Moha SOUAG, écrivain

Ces changements d’heure saisonniers que nous subissons trois fois par an et justifiés par des raisons économiques et écologiques perturbent la notion et le rapport des gens au temps. Chaque fois, au début des passages d’une heure à l’autre, les gens se demandent si c’est l’ancienne ou la nouvelle heure ou la nouvelle ancienne heure.

Ceci a favorisé le retour à une notion du temps plus flottante pour indiquer le moment d’un rendez-vous ou d’un travail: l’heure de la prière. On entend souvent «on se voit après telle ou telle prière». Ces changements ont un impact important sur la scolarité des enfants qui subissent, en plus des horaires scolaires aberrants, les perturbations des réveils à des heures indues. Mais à part cela, il ne porte pas à conséquences vu notre conception du temps qui est exprimée dans ces expressions courantes : «celui qui veut réussir, l’année est longue» ; «ceux qui sont pressés sont arrivés (en enfer)» ; « aucun intérêt à se presser».

En plus de l’expression connue du «rendez-vous marocain»  qui signifie que l’on doit attendre l’autre au minimum une demie heure au maximum une journée. Ces changements ne portent pas à conséquences, non plus, pour un peuple qui croit encore que la terre est plate et que c’est le soleil qui tourne autour de la terre et non le contraire malgré  Copernic, Galilée et Bruno. Heureusement que nous n’envoyons pas de fusées vers les espaces galactiques ni ne mettons de satellites sur orbites car leur retour serait quelque peu problématique.

Il est difficile dans un village d’avoir une réponse chiffrée à votre question : «Quelle heure, il est ?» Votre interlocuteur vous répondra d’abord avant de vous donner l’heure «L’heure est à Allah. Il est 5 ». Ceci en référence au Coran où Dieu dit qu’IL est seul à connaître l’Heure. «Ils t’interrogent sur l’heure : «Quand arrivera-t-elle ?» Dis : «Seul mon seigneur en a connaissance. Lui seul La manifestera en son temps». Alaraf 187.Ceci est illustrée par plusieurs histoires que les gens connaissent plus ou moins.

C’est l’histoire du vizir qui rencontre la mort à Baghdad et qui, en s’adressant à lui, lui demanda ce qu’il faisait là. L’homme eut peur et prit son cheval et s’enfuit à Samarkand ou la mort l’attendait. Elle lui dit qu’elle fut étonnée de le voir encore traîner à Baghdad alors que son heure était fixée à Samarkand. Cette histoire a été modernisée.

C’est celle du jeune homme que ses amis ont invité à une soirée mais que sa mère a empêché de sortir. Comme ses amis n’avaient pas de voiture, ils empruntèrent celle de leur ami. Le jeune homme rentre dans sa chambre après le dîner et s’endormit. Quelques heures plus tard, la police vient avertir la famille que la voiture de leur fils avait eu un accident et qu’il est mort, ils avaient découvert tous ses papiers dans sa poche. La mère surprise crut que son fils était sorti à son insu. Elle dit au policier que son fils dormait tranquillement dans son lit. Elle entra pour le réveiller et pour qu’il aille constater les dégâts de sa voiture mais elle le trouva mort.

Comme quoi on ne peut pas échapper à son heure. C’est pour cela qu’en darija marocain on ne parle jamais de «saa» qui signifie au même temps, heure et montre mais de «magana». Mot, dont l’origine m’échappe et que l’on use pour éviter de parler de l’heure qui serait un secret d’Allah. Personne ne connaît l’heure sauf Lui.

Le temps est la résultante des mouvements des planètes dans l’univers. L’homme a perçu, depuis sa naissance, l’alternance immuable d’un moment éclairé qu’il appela le jour et un autre  sombre qu’il appela la nuit. Pendant les moments éclairés, il pouvait vaquer à ses affaires sans trébucher tout le temps sur son voisin, ni cogner son orteil sur les cailloux ou les lierres du chemin et que pendant les moments sombres, il est attaqué par des fauves nocturnes qui, eux le voient et que lui ne voit pas.

Et il s’est aperçu, aussi, que, quand ce qu’il allait appeler les nuages couvraient ce qu’il allait appeler le ciel, ce qu’il allait appeler le soleil devenait sombre. D’où il  conclut ipso facto que le soleil éclairait la terre. Il s’était aperçu aussi qu’il avait faim et sommeil et qu’il fallait bien manger, boire et dormir à des moments qu’il n’avait pas encore fixés. Il lui fallait aussi de quoi se vêtir pendant ce qu’il nommerait bien plus tard l’hiver.

Mais pour ce faire, il devait chercher quoi manger et où dormir. Cependant comme il n’y avait pas de restaurants ni des hôtels au Miocène, l’homme s’organisa tout seul comme un grand et il construisit plus tard Chez Maxim’s et Hilton cinq étoiles. Sur ces entrefaites, il sentit le besoin de s’organiser et d’organiser sa journée pour trouver un endroit où se mettre à l’abri du froid et de la chaleur, de la nuit et de ses prédateurs et enfin de ne passer sa vie à chercher quoi manger. Le temps s’imposa alors. Il fallait le dompter, l’apprivoiser et le mettre en boîte. Mais ni la montre, ni le calendrier, ni l’agenda ne furent encore inventés.

L’heure est déterminée par plusieurs facteurs qui n’ont strictement rien d’objectifs. La différence peut apparaître dans l’utilisation des peuples de leur journée à travers les âges et les métiers. C’est ainsi qu’apparaissent les causes des changements de comportement avec l’évolution des sociétés. Les paysans n’ont pas le même rapport avec le temps que les artisans où les commerçants. L’utilisation du temps change avec les saisons pour chacune des catégories qui constituent une ville ou un village.

Le temps administratif est beaucoup plus organisé. Les élèves aussi bien que les fonctionnaires travaillent pendant un moment déterminé d’avance par les services concernés. Le travail ne varie pas beaucoup puisque il s’agit d’effectuer la tâche qu’on effectue le matin entre 8 et 12 et l’après midi entre 14 et 18 avec des variations spécifiques à chaque service. Mais tout cela fait que l’on est pris pendant 8 heures par jour et pendant 6 jours par semaine et 11 mois par année. Le temps libre et les vacances restent à organiser et à répartir selon l’humeur et le désir. Cependant là où le temps prendra toute sa signification c’est avec l’automatisation du travail à la chaine.

Il concernait les ouvriers qui faisaient un geste unique et automatique avant de le généraliser aussi à la médecine ou à la justice où il fallait abattre le plus de boulot pour engranger énormément d’argent en peu de temps. Comme le montrait Charlie Chaplin dans son film « Les temps modernes » où les gestes sont réglés à la seconde prés et que la chaine dépendait de chaque ouvrier. Les médecins comme les juges d’instruction ont des séries de questions à vous poser comme s’ils travaillaient à la chaîne. Le malade n’a pas le droit de parler d’autres choses que de répondre aux questions du médecin.

Ensuite vint la marchandisation du temps. Ce dernier est devenu une marchandise comme une autre. Ne sont-ce pas les Anglo-saxons qui disent que « time is money ». La première transaction entre un patron et un employé est le temps après la force et le savoir faire. Celui qui ne fait rien, perd son temps. Le temps est la seule chose après les fourmis, les mouches et les insectes que l’homme assassine sans craindre de sanction.

Cela se comprend puisque ni le temps ni les fourmis n’ont de défense d’ivoire ou d’autres effets aphrodisiaques ou anti-quelque chose pour avoir une valeur commerciale ou salvatrice et mériter la protection d’un organisme international pour les défendre et une journée mondiale pour les fêter. L’industrialisation occidentale commença par organiser le temps des ouvriers pour les rendre rentable. Taylor avec son OST (Organisation scientifique du travail) puis Ford et les deux guerres mondiales qui s’en suivirent finirent par emprisonner l’humanité dans une horloge.

Tout cela contribua à changer le visage du monde et celui de l’Europe et de l’Amérique en particulier. Les peuples n’eurent plus de temps pour eux-mêmes. Toute la main d’œuvre disponible a été mise à contribution pour produire beaucoup, consommer beaucoup et pendant longtemps Puis vint l’heure de la poésie, celle-ci est décrite par Baudelaire : « Il est l’heure de  s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous…. ».

Rabat 15.5.2020

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