Théâtre, ciné et télé

Par Moha Souag

Vous remarquerez tout d’abord qu’il n’y a pas de diminutif pour le théâtre comme il y en a  pour ses deux acolytes du titre. Et pour rester dans le domaine du spectacle, j’emprunterai au cinéma un titre pour décrire ces trois éléments: le bon, la brute et le truand.

La découverte du cinéma en 1895 avait soulevé la crainte des gens bien pensants de le voir concurrencer et faire disparaître le théâtre et la littérature en général. Mais il n’en fut rien. Bien au contraire la collaboration entre le théâtre, la littérature et le cinéma fut très fructueuse. Les écrivains, les poètes et les acteurs passaient d’un domaine à l’autre au grand plaisir des cinéphiles et  des lecteurs. Plusieurs auteurs sont devenus des scénaristes, et plusieurs romans et des pièces de théâtres furent adaptés au cinéma. La même levée de bouliers a rejeté la BD au profit du livre sérieux, la peinture abstraite au profit de la peinture figurative, la musique des groupes au profit de la musique dite classique etc…Aucun changement humain ne s’est fait sans opposition aux idées nouvelles.

Aller au cinéma était un acte festif pour les familles populaires. Elles se préparaient et s’habillaient pour aller voir un film comme le faisaient les familles bourgeoises pour aller au théâtre ou à l’opéra. Le cinéma était, comme le football, un spectacle populaire dans le sens où il était à la portée de toutes les bourses et ne nécessitait pas une grande érudition pour comprendre la langue de Pirandello  ni les mouvements d’un opéra, d’une symphonie ou les fautes de tennis et du golf. Au cinéma les spectacles étaient diversifiés, muets au début, puis parlants, avant d’évoluer en écoles, en courants artistiques et en propagande politique pour des partis et des Etats.

Ces arts populaires, la cinéma et la télévision,  ont provoqué  des changements très profonds dans les sociétés beaucoup plus que ne l’ait fait le théâtre en son temps. Si ce dernier ne pouvait s’adresser qu’à un petit nombre de spectateurs à cause d’une lourde logistique compliquée. Le cinéma ne nécessitait aucun déplacement tout était dans la pellicule, les personnages, les décors et même la musique. Une fois le projecteur installé dans une salle, les films pouvaient être regardés tout le temps et en tout lieu.

La question qui se pose avec le cinéma et la télévision et, aujourd’hui, avec  internet est dans  leur complexité en tant qu’objets fabriqués et inertes (hardware) mais aussi  instruments de communication actifs (software) en même temps. On est en face de machines fabriquées en usine (camera, projecteur, cassettes, C.D, téléviseurs, ordinateurs etc) mais aussi en face des idées créées par les êtres humains et transmises par des acteurs, des êtres humains à d’autres êtres humains.

En effet, entre l’utilisation du matériel technique comme la camera, les projecteurs et des lumières pour étudier le mouvement humain et animal pour des raisons scientifiques à l’origine, le chemin n’a pas été long pour le passage de tout ce nouvel outil pour le divertissement et la propagande politique et idéologique. L’humanité avait la peinture puis la photographie pour figer le moment mais avec la nouvelle technologie on avait la possibilité de photographier enfin le mouvement. Ce matériel reproduit ce que l’on voit c’est–à-dire la réalité. Est-ce vraiment la réalité ? Tous les spectateurs le croient puisque ils reconnaissent les personnes et les lieux. C’est le vrai dans le faux, déjà. Les personnages existent  belle et bien en chair et en os, les lieux aussi, ils sont toujours sis à la même adresse. Mais avant d’être projetés sur les écrans,  ces personnages, ces lieux et ces événements sont passés par plusieurs filtres. Il y a d’abord le cadre qui délimite l’action sur l’écran dans un espace précis et rigoureusement délimité.

Comme pour la photo, avec cette différence que l’action dans le plan n’est pas fixe mais mobile, cependant il manque les odeurs, les saveurs, les pensées et toute l’atmosphère (le temps qu’il fait, le temps qu’il est) hors  cadre. Ensuite, il y a toutes les transformations techniques et humaines par lesquelles passent un film avant son aboutissement: la camera, la pellicule, les tirages, le montage sans parler des transformations culturelles comme le scénario, le découpage technique, le cadrage et le montage. Et comme pour tout outil technique fabriqué par l’homme, cet outil a fini par modeler l’homme. La nouvelle  réalité /vérité  est manipulable. Elle passe du discours du témoin/oculaire au témoin/mandataire.

Les intentions du premier savant qui a découvert  l’impression de la lumière sur la surface argentique pour fixer l’image sur un support en verre, la découverte de la chambre noire, la découverte de la vitesse d’entraînement de l’image qui provoque le mouvement de l’image ont été dépassées par l’utilisation dont tout ce matériel a té inventé.  Le cinéma et la télévision ont pris une dimension culturelle qui a modelé l’image du spectateur autant que sa pensée et son comportement et aussi dans la formation de notre imaginaire depuis le début du XX° siècle jusqu’à nos jours. Si la télévision, née en 1930 pour le large public, était  le dernier gadget audiovisuel, méprisée pour son petit format, son enferment dans les salons, son manque d’originalité, la télévision a fini par engloutir tous les autres supports de la culture. La télévision a pris un pouvoir incontournable dans le domaine du  spectacle pour ne pas dire de la culture.

Les derniers développements de la société du XXI° siècle ont démenti les prévisions les plus alarmistes de Guy Débord. La société n’est plus du spectacle mais de l’information. Et les événements engendrés par Covid-19 confirment non seulement la disparition du spectacle (le confinement) mais qu’une société de l’information se confirme car tout passe par les écrans de la télévision et pire encore aujourd’hui, par les téléphones et les ordinateurs. Chacun reçoit chez lui des bribes de films entrecoupés de publicités, d’annonces sanitaires, des journaux télévisés semés de clips de musique et quelques pièces de théâtre coupées par des intermèdes de réflexions  philosophiques et des opéras parsemés de paysages géographiques.

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