Le bout du nez

Le gouvernement se conduit, à travers le projet de loi rectificative de la loi des finances, comme l’épicier du coin envers ses clients défaillants. Malgré le besoin dans lequel ils se trouvent, il ne les sert plus. Le tenant du commerce des produits de première nécessité croit qu’en cela il va les obliger à régler leurs factures au plus vite.

Tout en sachant qu’ils sont dans la mouise, il reste indifférent à leurs souffrances et use de pressions diverses pour réclamer son dû au risque de les perdre en tant que consommateurs. Si cela peut se comprendre de la part d’un épicier qui gère son échoppe, cela ne peut se comprendre ni être accepté de la part d’un gouvernement censé gérer les affaires publiques d’un Etat.

Le gouvernement s’est enfermé dans une vision restreinte de la situation en ne prenant pas en considération les possibilités réelles de repartir du bon pied. Il se fait peur suite à l’ampleur des déficiences sociales, économiques et administratives mises en évidence par le confinement. Il n’a pas la hardiesse d’opter pour une relance refondatrice et se cantonne dans une austérité comptable et appauvrissante. Incapable de prendre «le taureau par les cornes» et d’œuvrer pour mettre le pays à niveau afin d’envisager une émergence convoitée dans le cadre d’un très proche «nouveau modèle de développement», le gouvernement reste conforme à une gestion classique du budget comme si l’après corvid19 ne vas pas s’impacter par une «contraction de 5,2%», dans l’attente d’un éventuel rebond.

Faut-il rappeler, pour user des mêmes éléments de langage concernant le reflux de croissance, qu’une crampe musculaire fait très mal et peut être handicapante! Certes, «la contraction» de notre économie nationale est une conséquence de l’arrêt, ou presque, de l’activité conjugué à une mauvaise année agricole. Sauf que cette «crampe» trouve aussi ses causes dans les troubles du métabolisme de nos écosystèmes, de la dégradation des biotopes; des nombreuses carences, des défauts de circulation et autres affections qui font que le pays avance en montrant une claudication intermittente

Dans le contexte de l’après covid19, le projet de loi rectificative de la loi des finances n’est pas «qu’un» exercice de pratique démocratique dont on se félicite à l’occasion. Il doit rectifier le tir et avoir un effet d’annonce. Rectifier, bien sûr, «à la hausse ou à la baisse les charges et les ressources arrêtées» par la loi des finances précédemment adoptée ; et aussi annoncer les priorisations qui s’imposent pour revigorer l’économie nationale et mettre la personne humaine au centre des préoccupations gouvernementales (éducation, santé, emploi, maintien du pouvoir d’achat, développement d’une économie sociale et solidaire, travaux d’infrastructure et de réhabilitation des paysages, une politique prospective de l’eau…). Etat stratège, garant de la cohésion sociale, porteur d’un projet de développement et de modernisation de la société et anticipateur et régulateur du changement.

L’Etat social, que presque tout le monde réclame depuis fort longtemps, et dont les prémisses semblaient se concrétiser pendant la crise sanitaire par «une attention particulière aux populations en situation de vulnérabilité et de précarité» n’est plus à la manœuvre. Même si ce soutien a souffert de dysfonctionnements dans sa mise en œuvre, il a permis l’espoir de voir le dénuement combattu et le besoin comblé. Qu’il ne soit pas consolidé pour les mois qui restent de cette année de grâce crée de l’amertume et accentue les souffrances des démunis. Le projet de loi rectificative aurait dû assurer la continuité avec les décisions du Comité de Veille Economique à ce sujet; personne ne le déjugera.

Aux paradoxes qui caractérisent notre beau pays s’ajoutera un autre! Le gouvernement des compétences restera dans la mémoire, après la covid19, comme le gouvernement qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez!

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