À deux, l’art, c’est encore mieux

Nadia Ouchatar et Ahmed Harrouz

M’barek Housni*

Il est des expériences expositionelles qui ne ratent pas leur cible, symbolique. Dans le sens où elles doublent le frisson émotionnel et le varient dans un même souci. Non pas une émotion de rencontre, mais de retrouvailles en dehors de la vie commune, qui se font dans l’occupation commune : l’art plastique. Puisque ces expériences émanent de mari et femme. Les artistes souiris Ahmed Harrouz et son épouse Nadia Ouchatar. Remarquons que l’égalité est respectée : chacun s’octroyant la moitié de la salle d’exposition à Dar Souiri.

Le nostalgique drap des aïeules

Mettre un pan d’un drap ancien sur un pan d’une toile, c’est apposer une idée du temps au contact d’un élément  d’expression à priori hors du temps. C’est joindre l’apporté et le consacré. Nostalgie et art. Nadia Ouchatar a toujours eu sous les yeux le tissage laborieux et infini des mains noueux de son aïeule qui « créait » ces étoffes de laine à la patience. D’où l’intuition, on le soupçonne, de leur donner une deuxième existence après la vie passée à servir. Un drap, ça couvre, ça protège, ça s’étend par terre pour le repos ou le décor. Le drap ancien est un corps autre qui donne à sentir l’hier irretrouvable autrement.

Un hier joyeux aux yeux de l’artiste. Car ce drap/temps côtoie dans la toile des couleurs vives, claires, ouvertes. Et leur aspect vieillot et leur teinte quelque peu brunie dialogue avec des arbres rendus pas des lignes comme autant de fils tissés. Une interconnexion salutaire qui donne alors sens à cet alliage du passé de vie palpée par l’air du mouvant et d’art qui répond à cette effusion en rendant le tout à portée de ce qui demeure. Le tableau où un drap ceinture un tableau transversalement comme pour l’embrasser est plus que significatif. La joie nostalgique en ressort flagrante.

À côté,  dans la même veine qui irrigue le souffle créatif, l’artiste met en scène un être, non un personnage ni une figure simple, doté d’un corps (tête et tronc) qui répond au monde, en existant de profil et en ayant le bas sans pieds, mais prolongement indissociable de la terre/vie/racine. Il est une multitude de couleurs où dominent le vert et la sève. C’est un actuel, un contemporain créant son appartenance à ce qui unifie d’essence et non d’acquis. L’artiste imagine autant avec la couleur qu’avec les différents ajouts de matières pour assumer son monde.

Le trait du crayon ineffaçable :

Ça s’appelle créer : replonger dans l’invisible afin qu’il ne soit plus indicible. Ce dernier qualificatif nous happe dès qu’on passe à l’autre moitié de la salle, à la découverte des créations de Ahmed Harrouz. La surprise prend aussi l’attrait de retrouvaille. L’artiste, arpentant depuis des années l’univers de l’écriture via des critiques, des recherches,  des créations en mots, se ressaisit du pinceau, ou plutôt du crayon pour créer en images. Sur papier, blanc clair d’abord puis noir sombre après.

Deux mondes, deux conceptions, deux textes imagés. Ahmed Harrouz peint comme il aurait écrit. Dans ses clairs où le vide montre sa plénitude avec le plein  font surface les vieux parchemins, les livres savants, les estampes (dans une certaine mesure). Sauf que la part belle est faite ici à l’image qui s’approprie le floral, la figure humaine, souvent femme prise de profil ou homme, le soufisme (hmadcha), le souvenir (séance de Gnaoua dont il est un fin connaisseur), un certain vécu : tout l’arrière-fond culturel de l’artiste, son monde d’évolution personnelle. La musique, surtout celle véhiculaire d’émotion exclusive de l’identité et de l’aspiration spirituelle. Cette expérience esthétique qui tiraille l’âme entre être et exister. Ce clair est ouverture qui est réceptacle d’un déjà existant aspirant à s’ancrer dans l’étendu offert à l’œil.

Dans les tableaux en noir,  la vie sort d’un tunnel, d’un non-lieu ou d’un lieu caché pour se voir et être vue. La lune, la bougie sont là placées quelque part, souvent en haut, dans les tableaux/papiers spéciaux pour percer la brèche, introduire une lumière. Et une colombe sur une branche sortie de nulle part oriente et sert de guide dans l’errance sombre, symbole plus qu’acte délibéré. Ces noirs sont les plus à rendre compte de l’idée  prédominante en cette portion de la salle comme réponse à l’autre vie colorée et nostalgique.

On le constate, l’union artistique réussit le pari de créer la complicité d’une vie partagée sans que l’art y perde l’authenticité qui est sienne. Au contraire, il y a un parfait profit.

*Ecrivain et chroniqueur d’art

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